Par ailleurs, je dois faire remarquer que Georges GURVITCH a eu le courage de critiquer la dialectique de Marx sans l’avoir dépassée, dois-je ajouter. A mon humble avis, il a mal compris Marx-Engels, et en excluant de la Nature et de la pensée la Dialectique[1], il la prend en otage et ipso facto, le débat-dialogue est supprimé, car c’est à ce niveau que la Dialectique retrouve son sens même étymologique, celui « à travers le discours », donc le DIALOGUE. Si les disciples de G. Gurvitch veulent réagir, je les invite à un débat-contradictoire. Je suis prêt à démontrer qu’il a mal compris Marx et qu’il ne l’a pas dépassé. Qu’on se réfère, en attendant, à mon livre La Dialectique : de Héraclite d’Ephèse à Georges Gurvitch. La Dialectique de Marx a un fondement matérialiste, d’après Marx lui-même et si l’on ne connaît pas la QUINTESSENCE du matérialisme dialectique, il y a de quoi induire en erreur tout étudiant sans documentation sur la méthode dialectique.



[1] Il écrit : « Elle (la dialectique) ne peut être projetée ni dans l’esprit, ni dans la nature » (Dialectique et sociologie, Paris, Flammarion, 1962, p.22). Jean-Paul SARTRE n’a-t-il pas raison d’appeler Néo-positivisme et Dialectique son Hyper-Empirisme ? (Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p. 117).

 

Abbé Louis MPALA MBABULA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA DIALECTIQUE

COMME

METHODE DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Edition MPALA

B.P. 342

Lubumbashi / R.D.C.


A toi Chercheur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


© EDITIONS MPALA – 2001

Dépôt légal n° 02.20.2001.05 1er Trimestre


AVANT-PROPOS

 

Invité par le Centre d’Etudes Socio-politiques pour l’Afrique Centrale, C.P.A.C. en sigle, j’ai tenu une conférence sur La Dialectique comme méthode de recherche scientifique, en date du 7 février 2001 dans l’Auditoire 3 de la Faculté des Sciences Sociales de l’université de Lubumbashi.

 

Encore une fois, je devrais mettre les pendules à l’heure quant à ce qui concerne le nombre des lois dialectiques et leur terminologie. L’honnêteté scientifique nous exige le respect de l’appareil conceptuel de chaque auteur, car comme le soulignent DELEUZE et GUATTARI, chaque auteur en créant ses concepts se fait un personnage conceptuel identifiable. Retenez que la rigueur terminologique na rien à voir avec ce que d’aucuns ont appelé bagarre conceptuelle. L’on ne doit jamais oublier, à la suite de Louis ALTHUSSER (Positions 1964-1975, Paris, Ed. Sociales, 1976, p. 46), que les mots, les concepts, les catégories sont des « instruments » de la connaissance dans les raisonnements scientifiques et philosophiques, et qu’ils sont armes, explosifs, calmants ou poisons dans la lutte politique, idéologique et philosophique. D’où il faut savoir les utiliser avec précision conceptuelle de ISANGO parlant de la loi de la totalité. Et pourtant L. Athusser a déjà fait la distinction entre TOTALITE et TOUT CHEZ MARX. Si la totalité sous-entendant le cercle vaut pour Hegel, le TOUT sous-entendant l’UNITE DE TOUT est pour Marx. La deuxième loi dialectique est ainsi formulée en allemand : « das Gesetz von der Durchdringung des Gegensâtz » (MARX-ENGELS, Werke, 20, Berlin, 186, p. 348). La traduction est « la loi de l compénétration des contraires » et non « la loi de la totalité ». Ne créons pas des confusions chez les étudiants.

 

Par ailleurs, je dois faire remarquer que Georges GURVITCH a eu le courage de critiquer la dialectique de Marx sans l’avoir dépassée, dois-je ajouter. A mon humble avis, il a mal compris Marx-Engels, et en excluant de la Nature et de la pensée la Dialectique[1], il la prend en otage et ipso facto, le débat-dialogue est supprimé, car c’est à ce niveau que la Dialectique retrouve son sens même étymologique, celui « à travers le discours », donc le DIALOGUE. Si les disciples de G. Gurvitch veulent réagir, je les invite à un débat-contradictoire. Je suis prêt à démontrer qu’il a mal compris Marx et qu’il ne l’a pas dépassé. Qu’on se réfère, en attendant, à mon livre La Dialectique : de Héraclite d’Ephèse à Georges Gurvitch. La Dialectique de Marx a un fondement matérialiste, d’après Marx lui-même et si l’on ne connaît pas la QUINTESSENCE du matérialisme dialectique, il y a de quoi induire en erreur tout étudiant sans documentation sur la méthode dialectique.

 

Tout lecteur du présent texte remarquera que sur 47 références bibliographiques, 37 renvoient à MARX-ENGELS. Je leur ai accordé la parole. Au lecteur de vérifier nos sources.

 

En outre, tout directeur d’un T.F.C. ou d’un mémoire qui contraindra son étudiant à se référer à son syllabus et non aux ouvrages publiés, sera accusé de « TERRORISME INTELLECTUEL », car il péchera contre l’honnêteté scientifique. Ceci me concerne aussi. Retenons qu’un écrit publié a plus d’autorité qu’un syllabus qui n’est qu’un écrit en chantier attendant certaines modifications pour être publié. L’écrit publié vaut jusqu’au jour où un autre le battra en brèche. De ce fait, toute critique verbale faite dans un auditoire sans référence textuelle publiée est un simple dénigrement sans poids scientifique. Un écrit est toujours battu par un autre qui convaincra par une argumentation documentée.

 

Si ce texte peut servir de guide méthodologique ou s’il peut susciter d’autres débats scientifiques se référant aux originaux et non aux commentateurs dont j’en suis un, alors il aura atteint son but.

 

                                                                                 


INTRODUCTION

 

Plus d’une fois, nous avons eu à parler de la Dialectique et cela dans les mêmes conditions, à savoir celles de remettre les pendules à l’heure quant à ce qui concerne la METHODE DIALECTIQUE. Celle-ci est exposée de plusieurs manières et cela selon les professeurs. Et pourtant quand on en parle, on ait référence à Marx et Engels. Malheureusement, ces deux maîtres fondateurs sont mis dans l’ombre au profit des commentateurs marxistes.

 

Par la présente conférence, nous aimerions parler de la Méthode Dialectique en partant de Marx-Engels et si les noms des commentateurs apparaissent, cela sera dans le but explicatif et non fondationnel.

 

Sachons que cette méthode est d’origine philosophique et qu’elle présuppose certains principes philosophiques et surtout il est bon de savoir à quoi elle s’oppose, car elle est fille de son temps.

 

Contrairement, à notre livre intitulé la dialectique. D’Héraclite d’Ephèse à Géorges Gurvitch, la présente communication cherchera à attraper directement le taureau par les cornes. Ainsi l’aspect historique ne prendra pas un grand espace.

 

Puisqu’il en est ainsi, dans notre premier moment, nous nous appesantirons sur le Matérialisme Dialectique, Œuvre de Friedrich Engels  et par ricochet sur le Matérialisme Historique, œuvre de Karl Marx. Notre second moment consistera à donner les trois lois de la Dialectique matérialiste telles qu’elles sont énoncées par F. Engels. C’est en passant que nous critiquerons les commentateurs.

1. LE MATERIALISME DIALECTIQUE

1.1. Matière et ses propretés

 

Le Diamat (matérialisme dialectique) est une conception du monde. Tout y tourne autour de la Matière. Celle-ci est considérée comme une Réalité (= Non-Etre), mais une Réalité objective (qui ne dépend pas de nous). En outre, il s’agit d’une Réalité objective, Générale. C’est le matérialisme. Cette matière est donnée à l’homme dans ses sensations. Ainsi elle est connaissable, et de ce fait l’EN-SOI ou le Noumene de Kant est rejeté.

 

Le concept de matière, concept clé du matérialisme, est abstrait de toute la réalité objective, i.e. du monde dans sa totalité comme le dit si bien A. CHEPTOULINE[2].

 

Quelles sont les propriétés de cette matière ?

 

Contrairement à Gustave Wetter, distinguant la Qualité de la Propriété[3], nous pensons, à notre humble avis, que la qualité se confond à la propriété surtout quant il s’agit de la matière qui est Unique. C’est le monisme.

 

Engels trouve l’unité du monde non pas dans son être mais dans sa matérialité, laquelle matérialité se refuse d’être démontrée à l’aide de quelques phrases vides (de sens d’un prestidigitateur) ; mais seule une longue évolution de la philosophie et des sciences de la nature peuvent le faire[4].

 

Cette matière Unique et Infinie dans le temps, l’espace et la profondeur. Elle est aussi Eternelle dans le temps et par éternité, nous entendons « une succession sans commencement ni fin des phénomènes matériels isolés dans le temps »[5]. L’espace et le temps sont des manières d’être de la matière objectivement réelle. Cette matière unique, infinie, éternelle est en mouvement. C’est sa principale caractéristique. « Le mouvement n’est pas une propriété fortuite de la matière, il en est l’attribut spécifique… Le mouvement est l’éternelle manière d’être de la matière »[6]. Pour Engels, « le mouvement n’est pas le mode d’existence de la matière (…). La matière sans mouvement est aussi inconcevable que le mouvement sans matière »[7]. Mouvement et matière sont unis de telle sorte que nous pouvons dire que matière = mouvement. Et le repos ? On reconnaît son existence, mais il est Relatif, temporaire et passager. Parler du mouvement de la matière revient à parler de sa faculté de se transformer en d’autres aspects ou formations matérielles. C’est ici qu’apparaît la Dialectique.

 

Ainsi l’on a le Matérialisme dialectique. C’est une conception de la nature à la fois dialectique et matérialiste, nous dit Engels[8].

1.2. Méthode dialectique face à la méthode métaphysique

 

L’histoire de la philosophie antique nous apprend que le premier à utiliser le concept de méthode dialectique fut Aristote. C’est sous ce vocale qu’il qualifia la Méthode Argumentative de Zénon d’Elée et méthode dialectique est prise au « sens de technique d’épreuve des opinions ; cette méthode consiste (…) à admettre la thèse adverse à titre d’hypothèse, pour en déceler les contradictions internes, ce qui suffit, comme elle contredit exactement ce que l’on veut défendre, à établir la validité de celle-ci »[9].

 

De cette méthode disputent ou Eristique, il y a le danger de tomber soi dans la Parologisme (qui est un raisonnement faux fait de bonne foi), soit dans le Sophisme (qui est un raisonnement faux fait de mauvaise foi). Les Sophistes (Protagoras, Gorgias, et.) et Socrate hériteront de Zénon d’Elée cette méthode et le sens de Dialogue prime.

 

Mais la méthode dialectique de Marx-Engels sera une Version Corrigée de la méthode de Hegel dont le système philosophique enseignait que « le monde entier de la nature, de l’histoire et de l’esprit était représenté comme un processus, c'est-à-dire comme étant engagé dans un mouvement, un changement, une transformation et une évolution constantes (…). De ce point de vue, enchaîne Engels, l’histoire de l’humanité n’apparaissait plus comme un enchevêtrement chaotique interne de violence absurdes, toutes également condamnables devant le tribunal de la raison philosophique arrivée à maturité et qu’il est préférable d’oublier aussi rapidement que possible, mais comme le processus évolutif de l’humanité lui-même ; et la pensée avait maintenant pour tâche d’en suivre la lente marche progressive à travers tous ses devoirs et de démontrer en elle, à travers toutes les contingences apparentes, la présence des lois »[10]. Soit dit en passant que cette façon de voir la nature, l’histoire et la pensée nous vient avant tout de Héraclite d’Ephèse, le premier philosophe antique à avoir une conception dialectique du Cosmos et chez qui le Logos joue un rôle important, car il gouverne tout et tout se conforme à ses Lois et les lois de la société sont nourries par le Logos, la loi divine (Fr.117)

 

Quand bien même Hegel aurait un tel système philosophique s’apparentant à Héraclite, il resterait idéaliste, c'est-à-dire « au lieu de considérer les idées de son esprit comme les reflets plus ou moins abstraits des choses et des processus réels, il considérait à l’inverse les objets et leur développement comme de simples copies réalisées de l’ « Idée » existant on ne sait où dès avant le monde. De ce fait, tout était mis sur la tête et l’enchaînement réel du monde entièrement inversé. (A cause de cela) le système de Hegel comme tel a été un colossal avortement (C’est nous qui soulignons) »[11], finit par conclure Engels.

 

Et c’est à ce niveau qu’apparaît « l’infernal »[12] Karl Marx. Ce dernier critiquera le côté mystificateur de la dialectique hégélienne à une époque où elle était à la mode, nous renseigne Marx lui-même[13]. Chez Hegel, la dialectique était sur la tête et Marx « retournera pour découvrir le noyau rationnel sous l’enveloppe mystique. Dans sa forme mystifiée, poursuit Marx, la dialectique devient une mode allemande, parce qu’elle semblait glorifier l’état de chose existant. Dans sa configuration rationnelle, elle est un scandale et une abomination pour les bourgeois et leurs porte-parole doctrinaires, parce que dans l’intelligence positive de l’état de choses existant elle inclut du même coup l’intelligence de sa négation, de la destruction nécessaire, parce qu’elle saisit toute forme faite dans le flux du mouvement et donc aussi sous son aspect périssable, parce que rien ne peut lui en imposer, parce qu’elle est, dans son essence, critique et révolutionnaire »[14].

 

L’enveloppe mystique enlevée, il va de soi que la dialectique marxienne ait un fondement matérialiste, comme il le dit lui-même[15] et qu’elle soit différente et contraire de celle de Hegel, comme l’affirme Marx avec insistance[16].

 

Ceci dit, comme le dira Engels, la dialectique « appréhende les choses et leurs reflets conceptuels essentiellement dans leur connexion, leur enchaînement, leur naissance et leur fin »[17]. En d’autres termes, par « voie dialectique (on tient) compte des actions réciproques universelles du devenir et du finir, des changements progressifs et régressifs »[18].

 

De tout ce qui précède, on comprendra que la méthode dialectique sera une méthode d’investigation rigoureusement réaliste, précise Marx[19], et ne grande idée fondamentale heuristiquement « selon laquelle le monde (et l’histoire) ne (doivent) pas être considéré(s) comme un complexe de choses achevées, mais comme un complexe de processus où les choses, en apparences stables, sont autant que leurs reflets intellectuels dans notre cerveau, les concepts passent par un changement interrompu der devenir et de périr où, finalement, malgré tous les hasards apparents et, tous les retours momentanés en arrière, un développement progressif finit par se faire jour(-) »[20] guidera la recherche. Ainsi on saura que « si l’on part constamment de ce point de vue dans la recherche, on cesse une fois pour toutes de demander des solutions définitives et des vérités éternelles »[21].

 

Cette méthode dialectique avec son corollaire épistémologique s’opposera, sans doute, à ce que Hegel appelle « la méthode métaphysique[22]. Celle-ci considère « les choses comme en repos et sans vie, chacune pour soi, l’une à côté de l’autre et l’une après l’autre »[23]. Cette méthode se base sur certains principes logiques, dont le principe d’identité, celui de non-contradiction et celui de tiers-exclu.

 

Une fois la méthode dialectique appliquée à l’histoire, nous avons le matérialisme historique et Marx en est le père direct, selon ENGELS[24]. Il s’agit d’une conception matérialiste de l’histoire[25]. Il servit à MARX de fil conducteur à ses études, selon ses propres mots[26] et se formule brièvement en  ces termes : « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur quoi s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de consciences sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine la conscience. A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre, une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure. »[27]  Cette façon d’exposer le matérialisme historique frise l’Economisme. Voilà pourquoi Marx-ENGELS reviendront sur cette conception matérialiste de l’histoire pour fixer les gens une fois pour toutes sur l’accusation de l’Economisme. Ainsi justice sera rendue à la Dialectique. Entre l’infrastructure, base économique, et la superstructure, il y a une influence réciproque. Le mouvement politique peut aller à contre courant de l’évolution économique et retarder son évolution, comme il peut la conduire à l’échec par la destruction brutale, comme il peut aussi aller dans la même direction et alors accélérer son évolution[28]. D’où l’idéologie réagit aussi sur la base économique « et entre certaines limites, la modifie »[29], précise Engels. S’il n’en était pas ainsi, Engels et Marx ne lutteraient pas pour l’instauration de la Dictature du prolétariat, fait remarquer Engels dans la même  lettre. Tout en reconnaissant l’inégalité des forces dans cette dialectique d’action et de réaction entre l’infrastructure et la superstructure, Engels finit par dire « qu’il n’y a rien ici d’absolu et que tout est relatif »[30] même si pour lui « le mouvement économique est de beaucoup la force la plus puissante, la plus initiale, la plus décisive »[31]. Mao, plus perspicace, développera cette théorie d’inégalité des forces, de la force la plus décisive et ainsi il parlera de la CONTRADICTION PRINCIPALE et de (s) contradiction (s) secondaire (s). Et il ira plus loin en faisant voir qu’à chaque niveau de la contradiction, il y a un aspect principal et un aspect secondaire. C’est ici que raisonne, en outre, la voix de LENINE selon laquelle « l’âme vivante du Marxisme, c’est l’analyse concrète d’une situation concrète »[32]. Mao précisera même que les contradictions qualitativement différentes ne peuvent se résoudre que par des méthodes qualitativement différentes[33]. Il nous avertit que « la contradiction secondaire peut devenir la contradiction principale et vice versa, comme l’aspect principal et décisif, et vice versa. Ainsi, dit Mao, « lorsque la superstructure (politique, culture, etc) entrave le développement de la base économique, les transformations politiques et culturelles deviennent la chose principale, décisive… Nous reconnaissons, poursuit-il, et devons reconnaître, insiste-t-il, l’action en retour du spirituel, sur le matériel, de la conscience sociale sur l’être social, de la superstructure sur la base économique »[34]. Cette dialectique et ses résolutions se résument dans le ça DEPEND de K. MARX que l’on trouve expressis verbis dans son Introduction à la critique de l’économie politique et que l’on trouve aussi sous une forme « verbale » dans la Préface à l’édition allemande de 1872 du Manifeste du parti communiste[35]. A dire vrai, Marx – Engels, se sont repentis d’avoir manqué d’introduire le « CA DEPEND » dans leurs premières recherches. Voilà pourquoi ENGELS n’hésitera pas à dire : « il n’y a pas de meilleur chemin pour conduire à une clarté théorique de compréhension que de s’instruire par ses proches erreurs, Durch Schaden Klug Werden »[36].

 

Pour terminer avec le matérialisme historique, disons en quoi il se résume dans son versant politique. A ce propos, Marx écrit : « ce que je fis de nouveau, ce fut :

  1. de démonter que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases de développement historique déterminé de la production ;
  2. Que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ;
  3. Que cette dictature elle-même ne constitue que la transition à l’abolition de toutes les classes et à une société sans classes »[37]. Il va de soi que si Marx et Engels existaient, face au démantèlement de l’Ex-U.R.S.S., ils reconnaîtraient l’erreur et s’exprimeraient encore une fois en ces termes :

« Mais l’histoire nous a aussi donné tort. Elle a révélé que notre conception d’alors était une illusion. L’histoire est allée aussi plus loin. Elle a non seulement démoli notre erreur de ce temps-là, elle a aussi radicalement changé les conditions dans lesquelles le prolétariat a à lutter (…). Ceci est un point qui en cette occasion mérite d’être examiné de plus près »[38]. Comme on le voit, le philosophe n’a peur de personne si ce n’est de sa propre conscience.

 

L’essentiel étant dit sur l’essence et la nature de la méthode dialectique, voyons à présent comment se formulent ses lois comme principes de recherche scientifique. Contrairement à la volonté de Gurvitch, la méthode dialectique a plusieurs champs d’application, à savoir la Nature, l’Histoire et la Pensée.

2. LES LOIS DE LA DIALECTIQUE SELON ENGELS

 

Pour Engels, « en vérité, elles se réduisent fondamentalement à trois : la loi du changement brusque de la quantité en qualité et vice versa ; la loi de la compénétration des opposés ; la loi de la négation de la négation »[39].

2.1. Loi du changement brusque de la quantité en qualité et vice versa

 

Engels l’exprime ainsi : « Nous pouvons l’exprimer pour ce qui concerne notre but, dans le fait, dans la nature, les changements (= avariations) qualitatifs peuvent avoir lieu seulement en ajoutant ou en retranchant de la matière ou de mouvement (la soi-disant énergie), et cela dans un mode rigoureusement valable pour tout cas singulier »[40].

 

Il y a toujours interaction ou connexion entre une nouvelle qualité et les changements quantitatifs.

 

Sans avoir écrit les quelques pages qu’il projetait sur la Dialectique, Marx applique cette Loi à la 4° section de son livre Le capital livre 1. Toutefois nous pouvons donner ce exemple tiré de la 3ème section au IX chapitre où il s’agit du taux et masse de la survaleur. Marx dit : « Le détenteur d’argent ou de marchandises ne se transforme réellement en capitaliste qu’à partir du moment où la somme minimale avancée pour la production dépasse largement le maximum du Moyen Age. Ici se confirme, écrit Marx, comme dans les sciences de la nature, l’exactitude de la loi découverte et exposée par Hegel dans sa Logique, selon laquelle des changements purement quantitatifs parvenus à un certain point, se renversent en différences qualitatives »[41].

 

Ici apparaissent, à travers les lignes de Marx, deux expressions indiquant la caractéristique de cette loi, à savoir PARVENUS A UN CERTAIN POINT et SE RENVERSENT. En d’autres termes, il y a un certain point de non retour et une fois ce point atteint, il y renversement, c'est-à-dire RUPTURE. Ainsi on parlera de BOND, de SAUT que Cheptouline définit comme « le processus du passage de la chose d’un état qualitatif à un autre qui s’accompagne d’une rupture de continuité »[42]. Mais faisons remarquer qu’il y a deux sortes de sauts, à savoir saut-rupture se produisant brutalement, impérieusement et affectant la qualité dans son ensemble. Le passage de MOBUTU à L.D. KABILA est un SAUT-RUPTURE, il y a aussi le saut se déroulant graduellement. Ex : si la C.N.S. avait chassé MOBUTU, on parlerait de saut « doux ». Le passage de L.D. KABILA à J. KABILA est un saut « doux » mais douloureux car il y eu assassinat et la douceur se fait voir et entendre dans le Discours inaugurateur annonçant une continuité dan la discontinuité. Les élections pacifiques font partie de la deuxième catégorie de saut.

 

C’est aussi au niveau de cette loi que l’on parle de la REVOLUTION soudaine, fougueuse, violente et de l’EVOLUTION progressive. Mais il peut arriver que la REVOLUTION et L’EVOLUTION ratent et qu’on se trouve devant l’INVOLUTION ou une marche en arrière. A dire vrai, il y a la RUSE de l’histoire qui fait que celle-ci « procède souvent par bonds et en zigzags et il faudrait la poursuivre partout », avertit ENGELS[43]. A côté de bond et zigzag, nous ajouterions la dialectique ou le spiral. C’est DU SABLE MOUVANT surtout s’il s’agit du terrain politique.

 

Faisons remarquer que la REVOLUTION peut aussi venir de bas et sans ou avec violence. C’est le cas de la Yougoslavie et de Côte d’Ivoire il y a quelques mois. Elle peut aussi venir d’en haut, en ce moment il y a réforme constitutionnelle, par exemple. En dernière analyse, CA DEPEND de beaucoup de paramètres. Et l’investigation doit aller en détail ; car il y des causes lointaines, proches et l’occasion comme cela peut provenir d’un Incident diplomatique. Mais à y voir de près, il y au toujours CONNEXION QUELQUE PART, même en l’air. Voilà pourquoi, comme nous prévient Engels, avec la méthode dialectique, on ne demande pas des solutions définitives ou des vérités absolues. Il y a toujours une MARGE de « attendons voir » et de « faisons comme si en attendant ».

2.2. Loi de la compénétration des contraires

 

C’est à ce niveau que le concept de CONTRADICTION apparaît avec évidence même si elle existait dans la première loi.

 

Dans la nature comme dans la société, il existe des contradictions et la contradiction est une condition de l’existence de la matière. Voilà pourquoi Engels ne se gène pas de dire que « le mouvement lui-même est une contradiction (…). Et c’est dans la façon que cette contradiction a de se poser continuellement et de se résoudre en même temps, que réside précisément le mouvement »[44] et il conclut en ces termes : « La vie est donc également une contradiction qui, présente dans les choses et les processus eux-mêmes, se pose et se résout constamment. Et dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi, la mort intervient »[45]. En ces lignes on entend l’oracle d’HERACLITE D’Ephèse qui fait de POLEMOS (la guerre, le conflit, la contradiction) « le père de toutes choses et le roi de toutes choses » (Fr. 58). En d’autres termes, « Homère méritait d’être chassé des jeux et de recevoir les verges, de même qu’Archiloque » (Fr.42) pour avoir prêché la PAIX et non la Discorde.

 

Cette loi provient d’Héraclite qui prône l’unité des opposés et non leur Identité comme le fera Mao et qui, de ce fait, induit beaucoup de gens en erreur en parlant de la loi de la contradiction. A ce niveau, nous fustigeons POLITZER qui parle de la loi de changement réciproque (qui équivaut en fait au vice versa), de celle de l’action réciproque (= vice versa) et de la contradiction (qui n’est pas une loi mais une caractéristique ou une propriété de la réalité). Ici aussi certains professeurs se trouvent interpellés. Allons à la source.

 

Pour illustrer cette loi de la compénétration des contraires, les exemples sont légion.

 

2.3. Loi de la négation de la négation

 

Elle est d’origine hégélienne. Ici on peut parler de la thèse, ainti-thèse et synthèse. En celle-ci il y a une AUFHEBUNG au sens de HEGEL. C'est-à-dire il y à la fois NEGATION, CONSERVATION sous-entendant DEPASSEMENT qui se pose directement en thèse face à une nouvelle antithèse. Car tout devient.

 

Marx, avec son matérialisme historique, nous présente souvent cet exemple : « De même qu’autrefois la petite entreprise par son évolution a nécessairement engendré les conditions de son anéantissement, c'est-à-dire de l’expropriation des petits propriétaires, de même aujourd’hui le mode de production capitaliste a engendré également lui-même les conditions matérielles qui le feront nécessairement périr »[46]. Toutefois Engels nous prévient de nous garder de la négation mauvaise, stérile. « La négation vraie, naturelle, historique et dialectique (c’est nous qui soulignons) est vraiment l’élément moteur (c’est nous qui soulignons) (au sens formel) de tout développement (…). Cette négation stérile est la négation purement subjective (c’est nous qui soulignons), individuelle, qui n’est pas un stade de développement de la chose elle-même, mais une opinion introduite de l’extérieur »[47].

 

Engels donne comme exemple la conception de l’Histoire de J-J. Rousseau : « Egalité primitive-Perversion par l’Inégalité-Instauration de l’égalité à un niveau supérieur – et Négation de la négation »[48]. A dire vrai, il y a beaucoup d’exemples (Poule – Œuf – Poussin. Graine – Plante – Graines…).

2.4. QUE RETENIR DE TOUT CE QUI PRECEDE ?

 

Comme méthode de recherche scientifique, la DIALECTIQUE en est une. Comme pour cette méthode, quand on parle, on fait allusion à Marx-Engels, nous invitons les étudiants à se méfier des marxistes jusqu’au jour où ils auront découvert que Marx-Engels ne sont pas trahis. D’où, retour aux sources. Alors, méfiez-vous aussi de mon exposé, car je suis aussi un commentateur.

 

Il est impérieux de retenir une fois pour toutes qu’il y a trois lois et non quatre comme Staline l’énonce tout en rejetant la Négation de la négation. Elles sont à 3 et non 4,5,6,7…

 

Il est bon de respecter la terminologie des auteurs fondateurs, et il est recommandé de décliner les sources pour contrôler tout discours sur la dialectique.

 

Comme nous avons publié deux ouvrages sur la dialectique qui ne sont pas encore critiqués, il est bon qu’ils soient source de référence nous renvoyant à Marx-Engels. D’où le syllabus des professeurs ne sera que le poteau indicateur et non un ouvrage à citer à tout bout de champ.

 

Même si Gurvitch, avec son Hyper-empirisme, est tombé en dessous de Marx-Engels, Lénine, Mao et Althusser, il peut être consulté, ne fût-ce que pour voir son courage[49].

 

                                                                                  Je vous remercie.


Du même auteur aux mêmes Editions

 

-         Que dit la Bible sur la consultation de devin ? 1990

-         Où est Dieu ? 1990

-         Quel discours pour quel développement ? De la philosophie de la conversion mentale (Collectif avec Misenga NKONGOLO et Badibanga MPUTU) 1991.

-         Les béatitudes pour qui et pourquoi faire ? 1991.

-         Du découpage du Katanga 1992.

-         A propos du matérialisme dialectique et de ses lois 1992.

-         Où est l’homme ? 1992, 1999, 2000.

-         Du royaume de Dieu sur la terre Katangaise. Vol. I. 1993.

-         Le chrétien face à la politique ou de l’éducation à la révolution intégrale 1993.

-         Attention à la démocratie consociative du philosophe Irung Tshitambal ! 1994.

-         Bioéthique biblique ou appel à la conscience humaine. 1995.

-         Sciences et foi ou appel à la maturité humaine. 1995.

-         Education à la conscience et à la raison. Introduction à la philosophie de Masada 1995.

-         Lecture matérialiste de « La philosophie bantoue » de P. Tempels face aux mutations socio-politiques en République du Congo 1997, 2000.

-         Critique de l’anthropologie philosophique de Karl Marx 1999.

-         Actualité et limites de la Bolingocratie du philosophe MVUMBI 2000.

-         La Dialectique : de Héraclite d’Ephèse à Georges Gurvitch 2000.

-         Philosophie pour tous. Cours d’introduction à la philosophie 2000.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Il écrit : « Elle (la dialectique) ne peut être projetée ni dans l’esprit, ni dans la nature » (Dialectique et sociologie, Paris, Flammarion, 1962, p.22). Jean-Paul SARTRE n’a-t-il pas raison d’appeler Néo-positivisme et Dialectique son Hyper-Empirisme ? (Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p. 117).

[2] Cf. CHEPTOULINE, A., Catégories de la dialectique, Moscou, 1978, p.78.

[3] Cf. WETTER, G., dit que « pour le matérialisme dialectique la qualité est une détermination interne, essentielle à l’objet, la propriété par contre cette détermination dans son rapport avec d’autres choses. « La propriété est une manifestation de la qualité à travers son rapport avec une autre qualité » (le matérialisme dialectique, Paris, DOB, 192, p.340.

[4] Cf. ENGELS, Anti-Dühring, dans MARX ENGELS, opere scelte et V. LENINE, cité par A. CHEPTOULINE, o.c., p.75.

[5] WETTER, G., L’idéologie soviétique contemporaine, T.1. Le matérialisme historique et le matérialisme dialectique, Paris, 1965, p.31.

[6] Ib.

[7]Marx-Engels, Werke, 20, Berlin, 1986, S. 55

[8] Cf. F. ENGELS, Anti-Dühring, Paris, 1973, p.39.

[9] BERNHARDT, J., La pensée présocratique ; de Thalèse aux Sophistes, dans CHATELET, F. (dir), La philosophie païenne du VIème siècle avant JC. IIIème siècle après J.C., Paris, Hachete, p. 49.

[10] ENGELS, F., Anti-Dühring, p. 53.

[11] Ib., p. 53.

[12] Ce surnom vient de Engels.

[13] MARX, K., Post face à la deuxième édition allemande, dans Le Capital, I, 1993.

[14] Ib., p. 18.

[15] Cf. Ib., p. 17.

[16] Cf. Ib., p. 17.

[17] F. ENGELS, Anti-Dühring, p. 52.

[18] Ib., p. 52.

[19] Cf. K., MARX, o.c., p. 15.

[20] ENGELS, F., Ludwig Feuerbach…, dans Marx, ENGELS, K., F, Etudes philosophiques, Paris, 1961, p. 45.

[21] Ib., p. 45.

[22] Ib., p. 45.

[23] ID, Anti-Dühring, p. 150 et cf. p. 387.

[24] Cf. Lettre de Engels à Heing Sterkenburg, Londres 25 janvier 1894, dans Marx ENGELS, Opere scelte, Roma, 1979, p. 1253.

[25] Cf. Ib., p. 1253.

[26] Cf. K. MARX, Préface à la « contribution à la critique de l’économie politique », dans MARX, K-ENGELS, F., Etudes philosophique, p. 99.

[27] Ib., p. 99 – 100.

[28] Cf. Lettre de Engels à  Conrad Schmidt, 27 ocobre 1890.

[29] Ib.

[30] Ib. ? Dans Etudes philosophiques, p. 161.

[31] Ib., p. 161.

[32] I MAO, Cinq essais, philosophiques, p. 63.

[33] Cf. MPALA, La dialectique, de Héraclite d’Ephèse à Georges Gurvitch, p. 33.

[34] Ib., p. 34-35.

[35] Cf. Ib., p. 57.

[36] Lettre de Engels à Kelly-Wischnewetzky, Londres, le 28 décembre 1886, dans Marx-Engels, Œuvres choisies T. III, p. 512.

[37] Lettre de Marx à Joseph Weydemeyer, 5 mars 1852, dans Etudes philosophiques, p. 151.

[38] ENGELS, F., Introduzione a « lotte di clase in Frncia, dans opere scelte, p. 1261.

[39] ENGELS, F., Dialettica della natura, Roma, 1978, p. 77.

[40] Ib., p. 78.

[41] MARX, K., Le Capital, I., p. 346.

[42] CHEPTOULINE, A., o. c., p. 234.

[43] ENGELS, F., La « contribution à la critique de l’économie politique » de Karl Marx, dans Etudes philosophiques, p. 111.

[44] ID., Anti-Dühring, p. 150.

[45] Ib., p. 151.

[46] MARX résumé par Ib, p. 163.

[47] Ib., p. 379.

[48] Ib., p. 379.

[49] Cf. MPALA MBABULA, o. c.