Le professeur Irung, dans la revue Zaire-Afrique du  novembre 1993, s’est posé la question articulée comme suit : « Quelle démocratie pour l’Afrique » ?  Je sais que toute question est suscitée et déterminée par une situation particulière. Tout le monde est sensé connaître cette situation.  Un peu partout en Afrique on veut la démocratisation, on ne veut plus les dictatures sous toutes leurs formes.

En lisant la question de « Quelle démocratie pour l’AfrIque », je me suis étonné, car les termes sont au singulier. Comment est-ce possible ? Y a-t-il une démocratie pour l’Afrique ? Si l’auteur reconnaît qu’il existe «  ( ) plusieurs modèles démocratiques » (démocratie directe ou représentative, démocratie concordante ou consentante, démocratie gouvernée, démocratie gouvernante à pouvoir clos ou à  pouvoir ouvert, démocratie fondée sur la règle de la majorité, démocratie participative, corporative, néocorporatiste, etc.) (p. 527), doit--il en ajoute une autre ? C’est son droit et il l’a fait. Mais pour l’Afrique faut-il une démocratie au singulier ? L’Afrique elle-même ne renferme-t-elle pas plusieurs afriques au miniscule ? Ne parle-t-on pas de l’Afrique noire, de l’Afrique subsaharienne, de l’Afrique blanche ? Que dire de l’Afrique  magrébine ?  De  quelle Afrique parle l’auteur ? Il ne le dit pas, puisqu’il ne s’est même pas posé cette question

Etudes

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Louis MPALA Mbabula

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ATTENTION A LA DEMOCRATIE

CONSOCIATIVE DU PHILOSOPHE

IRUNG Tshitambal !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                               Editions MPALA

 

A vous Philosophe

Soeur Muambi Mbuyu Marie-Sophie

Voyez en cette brochure le fruit de

nos discussions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© EDITIONS MPALA -1994.

Dépôt légal N° 0820-9420 IIIè Trimestre


 

 

AVANT-PROPOS

 

Le titre de ma brochure est indicatif. Il  appelle  à l’attention. Cette attention  a l’intention de rendre attentif. Attentif  à ce que dit le philosophe  Irung et attentif mon dire. L’attention permettra au  lecteur de prendre au sérieux son  être-là -dans-le monde. La démocratie est l’oeuvre de chacun de nous, mais il nous faut une certaine éducation. Alors faisons attention à  tout. Soyons EVEIL.LES.

Notre propos se base spécialement sur l’article de Irung publié dans  la Zaire-Afrique Nov. 1993. Toutefois nous tenons compte de l’article « La démocratie en Afrique actuelle » publié en Zaire-Afrique N° 270  décembre1992 et de la critique adressée par Irung à   R. Dumont (La question politique africaine, étude critique  de «  Démocratie pour l’Afrique » de R .Dumont » in Zaire-Afrique N°280 décembre 1993). Notre critique reste intacte à côté de tous ces articles.

Louis MPALA

Lubumbashi, le 17/08/1994


INTRODUCTION

            D’une façon  indépendante, je m’intéresse au problème du développement de mon pays et de toute l’Afrique indirectement. Je dirais, par ailleurs, que seule la population avec qui je vis, que j’observe directement m’interpellent. Qu’est-ce à dire ? Il me serait difficile de tenir un discours sur toute l’Afrique et encore moins sur tout mon pays. Ma conviction est que toute recherche doit partir d’un point donné ; quitte aux autres chercheurs s de voir si les analyses faites et suggestions proposées peuvent valoir pour d’autres parties du pays ou de toute l’Afrique par extension. C’est cette recherche passionnée et raisonnée que jusqu’à présent je soutiens qu’il faut une Philosophie de la conversion mentale (actualisée par  une Education à la révolution intégrale) pour un développement intégral de son milieu. Comme pour le moment le politique semble prédominer sur l’économique, le culturel, le religieux, et que de ce fait même détermine la pratique sociale ou la conscience sociale, tous les discours sur

la démocratie, et le thème est bien connu : «  LA DEMOCRATIE EN AFRIQUE ». Les couleurs ont été  annoncées. On n’a parlé, si je ne m’abuse, de la Démocratie Consensuelle. Terme à la mode. Ma grande peur est celle de voir ces discoureurs (chercheurs) faire coïncider leurs schémas théoritico-démocratiques aux besoins de toute l’Afrique. C’est un faux besoin comme le dirait H. Marcuse. Pensons aux Conférences Nationales que l’on a voulu faire appliquer à toute l’Afrique. Elles ont été un faux besoin pour certains pays. Oui, tout discours théorético-démocratique qui  s’élabore  dans un laboratoire « spatial »(pour ne pas dire cervelle) sans « photographier » la pratique politico-sociale ou vouloir se « tremper » dans la boue sociale ou le quotidien social analphabète intellectuellement et culturellement, restera un mort né et quand on l’appliquera, il sera

 

 

 

 

Un cadavre puant que le peuple fuira, et les démagogues ou cyniques politiciens tomberont dessus pour s’exclamer : « On le savait et on vous le disait. Sans nous, rien ne se ferait » (dans le nous sont aussi inclues les puissances coloniales).

            Fort de cet arrière-plan philosophique et de certains « préjugés » (au sens de Hans G. Gadamer) , je m’engage à apprécier la Démocratie consociative fondée sur la raison critique proposée par le professeur philosophe Irung Tshitambal de l’Université de Lubumbashi. J’avancerai avec la méthode d’argument ad hominem  (en utilisant ses propres termes et propositions pour lui faire voir (et à travers lui tous ceux pensent comme lui) qu’il faut pour l’Afrique DES démocraties et non UNE démocratie.

            Loin de moi la « logophagie », mais le dialogue pour un dialogue pluriel. Pour ce faire, ma réflexion aura deux moments forts. Le premier sera une démarche expositivo-critique de la Démocratie consociative fondée sur la raison critique. Le second essaiera de proposer notre Education existentielle conflue étant la condition sine qua non pour une certaine démocratie qu’on pourrait instaurer chez nous. C’est dans cette partie que je parlerai aussi du développement comme étant un élément clé dan cette recherche démocratique. La conclusion ne sera pas conclusive mais elle attendra un moment pour devenir plus tard  une introduction, car la pratique sociale devra l’inquiéter. Ainsi mes recherches se poursuivront aussi longtemps que Dieu YHWH me permettra de vivre et de penser. -

Si cette réflexion peut susciter d’autres comme elle est suscitée par celle de Irung, alors que Dieu YHWH soit loué. Sinon je m’excuse d’avoir volé votre temps précieux.

Toutes les références des livres italiens sont de ma traduction littérale.


 

1. DE L’EXPOSITlON CRITIQUE DE LA DEMOCRATIE CONSOCIATIVE

FONDEE SUR LA RAISON CRITIQUE

Le professeur Irung, dans la revue Zaire-Afrique du  novembre 1993, s’est posé la question articulée comme suit : « Quelle démocratie pour l’Afrique » ?  Je sais que toute question est suscitée et déterminée par une situation particulière. Tout le monde est sensé connaître cette situation.  Un peu partout en Afrique on veut la démocratisation, on ne veut plus les dictatures sous toutes leurs formes.

En lisant la question de « Quelle démocratie pour l’AfrIque », je me suis étonné, car les termes sont au singulier. Comment est-ce possible ? Y a-t-il une démocratie pour l’Afrique ? Si l’auteur reconnaît qu’il existe «  ( ) plusieurs modèles démocratiques » (démocratie directe ou représentative, démocratie concordante ou consentante, démocratie gouvernée, démocratie gouvernante à pouvoir clos ou à  pouvoir ouvert, démocratie fondée sur la règle de la majorité, démocratie participative, corporative, néocorporatiste, etc.) (p. 527), doit--il en ajoute une autre ? C’est son droit et il l’a fait. Mais pour l’Afrique faut-il une démocratie au singulier ? L’Afrique elle-même ne renferme-t-elle pas plusieurs afriques au miniscule ? Ne parle-t-on pas de l’Afrique noire, de l’Afrique subsaharienne, de l’Afrique blanche ? Que dire de l’Afrique  magrébine ?  De  quelle Afrique parle l’auteur ? Il ne le dit pas, puisqu’il ne s’est même pas posé cette question. Et pourtant il devrait y penser, ne fût-ce que, pour nous situer. Si Je dois accepter «  un type de démocratie qui convient à l’Afrique, de manière  à éviter d’emprisonner notre peuple dans un schéma théorico-démocratique peu approprié à notre société » ( ici l’auteur ne veut pas se taire complice motif de bourreaux des Africains surexploités et dominés par  les Occidentaux sans doute ou mieux l’Extérieur) (p. 527), je dois aussi accepter la critique que Gramsci Antonio, à son temps, adressait à la  maxime de Kant. Le paraphrasant je dirais que le type de démocratie de Irung pour l’Afrique présupposerait «  une seule culture, une seule religion, un conformisme » «  africain »[1] .

L’auteur peut-il nous dire qu’en Attique il y a une seule culture, une seule religion, un seul conformisme «  africain » ? Par ma foi non. Les cultures foisonnent,  les religions pullulent, le conformisme africain n’existe pas. Alors pourquoi un seul type de démocratie pour toute l’Afrique ? L’auteur n’emprisonne-t-il pas toutes les cultures, toutes les religions dans son schéma théorético-dérnocratique ? Et pourtant, dans son «  préjugé » (au sens gadamérien) contre l’Occident, l’auteur écrit : « Il n’y a pas un archétype de démocratie idéale, approprié  à  toute contingence situationnelle ou toute tradition, à  toute visée, transposable sous tous les cieux et valable pour toutes les générations » (p. 627).

S’il en est ainsi, pourquoi nous proposer un archétype de démocratie idéale, appropriée à  toute contingence situationnelle des différents africains ou à  toutes les traditions africaines, à  toutes les visées transposable sous tous les cieux de différents pays africains et valable pour toutes les générations africaines ? N’est-ce pas là une « démocraphagie » ? A  mon humble

avis, il n’est pas sage d’uniformiser l’Afrique. Par ailleurs,  je ne sus posé  la question de savoir si l’auteur, en écrivant. « Afrique » ou « pour l’Afrique », ne pensait-il  pas à un pays le Zaïre. S’il en est ainsi ., alors  il y a me confusion à  déplorer. Zaïre n’est pas l’Afrique, mais un des pays de l’Afrique. D’ailleurs cette dernière est plurielle dans sa réalité. Si  son type de  démocratie peut être valable au .Zaïre, rien ne présume qu’il puisse l’être au Nigeria, en Libye, en Egypte, en AfrIque du Sud,  etc.  Pourquoi alors exclure d’autres types de démocratie, made in Europe ou in Amérique  soient-elles ? Seul un « préjugé »  semble justifier cette option politico-philosophique. . Il  y a de quoi rentrer au monolithisme politique ou mieux à  la « monodémocratie » style irungien.

L’auteur veut que sa. Démocratie soit « exempte des dangers de la démocratie » (p, 528). Si je dois le prendre  au mot,  je dirais que même sa « démocratie » ne peut échapper aux   dangers de la démocratie. A soins qu’elle ne soit pas une démocratie.

Entre nous, une démocrate sans dangers est propre au «  laboratoire ». Je reste d’accord avec cet auteur-là  qui affirmait que nous vivons dangereusement. Ne dit-on pas que qui ne risque rien n’a rien ?  Il y a quelques dangers que l’auteur énumère mais il ramène à  trois catégories principales les dangers de la démocratie (et de sa démocratie implicitement car elle se veut démocratique) : « Il y a d’abord la domination, la tyrannie ou l’intolérance de la majorité (soulignés par l’auteur)... Ensuite, la démocratie risque d’être le règne désordonné de foules ignorantes (ici se trouvent la démagogie, le culte de l’incompétence, l’oubli de la raison, l’anarchie, sentiments séparatistes) (soulignés par l’auteur).... Enfin, la démocratie peut paraître comme une idéologie mystificatrice... ». Et comme pour se contredire l’auteur affirme : « ˜Toute forme de gouvernement recèle des dangers » (p. 528). Comme « Toute » est un quantificateur universel, il va de soi que même son type de démocratie n’échappe à  l’extension totale de « toute ». Ceci pour dire que le type de démocratie (forme de gouvernement) qu’il propose, recèle aussi des dangers. J’en vois déjà  un prenant le dessus sur les autres dangers : idéologie mystificatrice (p. 528), « perdant tout. rapport avec la réalité » (p, 528). L’auteur veut aussi que sa démocratie soit enracinée dans la contingence existentielle. Qu’il accepte, de ce fait,  que sa démocratie soit ce que sont les hommes du milieu donné, déterminé. Alors dites-moi, comment être exemple des dangers de la démocratie si les hommes eux-mêmes ne sont ni anges ni bêtes comme ne cessait de le répéter Blaise Pascal ? L’auteur insiste que « c’est (...) à  partir du contexte existentiel et historique de l’Afrique et de ses propres visées qu’il faut forger un type de démocratie de manière rester fidèle à  l’Afrique, à  éviter sur notre .propre terre les confusions des traditions et  modèles démocratiques... » (529). Je veux bien. Mais  quel contexte existentiel et historique de l’Afrique ? Il n’y a pas UN contexte, mais DES contextes, et chaque milieu africain a son histoire. Le contexte existentiel et historique éthiopien n’est pas identique à  celui de Zanzibar ou de Ghana, et encore moins de l’Egypte ou de la Tunisie. A mon humble avis, à chaque contexte existentiel et historique d’un pays africain donné pourrait correspondre un modèle démocratique, car comme le dit l’auteur lui-même « chaque modèle démocratique est le modèle démocratique de son temps. Il s’inscrit dans l’histoire qui l’éclaire, le justifie, l’explique ; il ne peut donc satisfaire que les intérêts de son époque » (p, 529), de l’époque du pays concerné et non de l’Afrique qui tout en étant une semble avoir plusieurs époques selon le milieu, isolé. L’auteur plaide pour sa démocratie qui doit s’enraciner sur les traditions reconnues positives après la critique.

Quels sont les critères de jugement si l’on doit parler de l’Afrique au singulier ?  N’oublions pas que la religion et la culture nous influencent dans cette critique pour un choix positif. Alors dites-moi devant la multitude de religions et de cultures africaines, quelles traditions prendre pour toute l’Afrique ? Si l’on descend dans un espace particulier, individuel, cela est possible. Mais l’appliquer à  toute l’Afrique dépasse mon entendement.

Que nous dit encore l’auteur sur son type de démocratie ? Sa démocratie, poursuit-il, doit être enracinée dans le pluralisme africain. Si l’auteur reconnaît le pluralisme africain, pourquoi ne pas reconnaître pour la même Afrique le pluralisme démocratique ? Si « l’Afrique traditionnelle et contemporaine est une Afrique formée d’une pluralité d’ethnies, marquées par une diversité d’expérience » (souligné par nous) (p. 530), pourquoi persister et signer pour un seul type de démocratie ? Je n’y comprends rien. Et toi mon lecteur ? Comment Mr l’auteur votre démocratie sera-t-elle « exempte des méfaits du monolithisme politique » (p. 530), s1 vous plaidez pour une « Monodémocratie » pour l’Afrique pluraliste ? N’est-ce pas là un mythe ? Votre démarche uniformisatrice de l’Afrique risque de nous coûter cher. Parlez du Zaïre et non de l’Afrique. Je serais d’accord, par ailleurs, avec voue, si votre démocratie, étant appliquée. à un milieu et non A l’Afrique, s’accordait aux visées de cette société particulière. Mais je ne marche pas avec vous quand elle est accordée aux visées de la société africaine (p. 531), car il y a plusieurs sociétés particulières africaines. D’après l’auteur «  les visées de notre société (entendez l’Afrique et non le Zaïre) (.....), se ramènent au développement et à la libération des africains, de ceux pour qui le développement signifie d’abord la libération et l’amélioration des conditions socio-économiques, culturelles et politiques d’existence de tout le monde » (p. 531). Ici je pense à  la question que Mahatman K. GANDHI posait à son ami européen : « De quoi doivent être libérées les masses ? Elles ne doivent pas avoir une conception vague et répondre : « de l’exploitation et de la dégradation ». Répondre ainsi ne singifie-t-iI pas, peut-être, vouloir occuper la place qu’occupent aujourd’hui les capitalistes ? »[2] . Même Paulo Freire a peur de voir les exploités d’aujourd’hui devenir demain les exploitants de leurs frères appauvris. Au Zaire, c’est une scène quotidienne. Voulez- vous être hissé ? Insultez Mobutu et criez fort. Surtout si vous êtes un intellectuel universitaire; ça ne fera pas longtemps. Je ne fais pas le procès d’intention de l’auteur, mais je réfléchis sur le quotidien zaïrois. Je sais que certains intellectuels universitaires sont intègres.

L’auteur, dans sari souci de bien circonscrire sa démocratie, l’enracine dans les traditions socio-politiques africaines de la palabre. Cette dernière, pour l’auteur, peut être « récupérée avec bonheur pour féconder le modèle démocratique » (p. 532) qu’il veut forger et mettre en oeuvre. Comment l’auteur mettra-t-il en oeuvre son modèle démocratique ? Il ne le dit pas. La tradition de la palabre est à la mode. Au temps de la Conférence Nationale Souveraine au Zaire, l’on disait que le peuple réuni dans la grande salle était dans la tradition de la palabre. Je ne sais pas si, de tout ce que l’on  a vu et entendu et de tout ce que l’on vécu, on peut louer la palabre comme le fait l’auteur. Il a de la faiblesse pour les « gens en palabre ». Loin de moi l’idée de .ridiculiser la tradition de la palabre, mais de faire voir que la palabre en elle-même, n’est tien si les gens qui y siègent ou débattent ne sont pas intègres et n’ont pas en eux la vérité. D’abord donnons les critères des gens qui doivent y être et non louer la palabre. Je sais que certaines familles quittaient le village quand la palabre a été récupérée par un groupe influent. C’est ainsi que certains villages ont des noms qui sont toute une histoire d’injustice. En un mot, il manquait souvent cette possibilité d’interjeter le Jugement. Palabre oui, mais avant tout trouvons les critères pour siéger. En d’autres termes, ce sont les gens qui font la palabre et celle-ci, à travers ses règles de jeu (discussion, liberté de la parole, recours à la raison, à la critique, à l’argument, participation de toutes les subjectivités concernées au débat; prise en compte des opinions de la majorité et de la minorité, nature polémique de la vérité....) (pp. 53S-534) transforme les hommes. L’oubli du primat de la qualité humaine sur la palabre fait sombrer dans l’idéologie mystificatrice de la palabre. Je garde un amer souvenir de la C.NS. Zaïroise où beaucoup de choses ont été marchandées. La vérité et la sincérité y ont fait souvent défaut. Pensons à  nos politiciens vagabonds qui sont à  la fois chauve-souris et caméléons. Pour dire qu’on ne sait pas ce qu’ils sont au fond. Aucun respect pour les textes de la C.N.S.

Alors quelle est cette démocratie en dernière analyse ? L’auteur la baptise démocratie consociative fondée sur la raison critique. Cette démocratie est « fondamentalement une démocratie où les Intérêts socio-économiques,culturels et politiques, les idées, les opinions, les degrés d’intelligence et de raisonnement des communautés minoritaires, dominées,

marginalisées ou appauvries sont aussi entendus, discutés librement, avec possibilité d’obtenir par le recours à  la raison critique, c’est-à -dire, par le poids du raisonnement ou des arguments, la puissance de la réfutation ou de la démonstration., une influence supérieure à  leur force numérique » (p. 535), Ici siègent, je crois, des personnes «  saines et saintes » intellectuellement et intentionnellement. Le calcul n’y a pas droit de cité. C’est l’idéal. Mlais ayons à l’esprit l’avertissement de Blaise Pascal : « L’homme n’est ni ange, ni bête... ». Cette foi dans la raison ignore que l’homme est un être socio-historique, ayant des crampes intellectuelles de temps en temps et que la raison peut être aveuglée par la pratique sociale. A ce propos, Engels cité par Lénine dira qu’il faut « une nouvelle génération grandie dans des conditions sociales nouvelles, libres »[3]. A quand ces conditions sociales nouvelles libres ? Le communisme a raté son rendez-vous historique. A quand ainsi cette démocratie de notre philosophie Irung ? J’attends qu’il la mette en oeuvre comme il le souhaite (cfr  p. 532). Dans la démocratie de notre philosophe du recours à  la raison critique (et non à la critique de la raison et de ses raisons) «  le pouvoir est exercé par une grande coalition, sous une forme ou une autre, des représentants de diverses communautés... » (p. 52). Ici il y s l’autonomie de chaque communauté dans la conduite des affaires intérieures, et la coopération politique des représentants de différents segments qui transcendent les clivages segmentaux et qui contrebalancent les tendances centrifuges inhérentes à  la société pluraliste de manière à  favoriser l’unité nationale » (p. 534). Je ne sais pas si ce discours vaut pour l’Afrique ou pour un pays donné de l’Afrique. Cette grande coalition, une fois installée, ne pensera-elle pas à  ses « propres » intérêts au détriment de la population majoritaire ou minoritaire ? Et le jour où les intérêts seront différents et qu’en recourant à  la raison critique chaque représentant de

diverses communautés croira être rationnellement sur le bon chemin, qui départagera le débat ? Ne risquons-nous pas de retourner à  l’expérience de Tour de Babel et de voir les coalitions dissoutes à  tout bout de champs ? A mon humble avis, le recours à  la raison critique ne suffit pas. Il est nécessaire et non suffisant. Il faut aussi l’humilité de renoncer à  ce qu’on croit être vrai (ceci requiert une vertu religieuse et le sacrifice de supporter parfois l’insulte de trahison) pour voir en pratique ce que l’autre suggère. Une fois que la pratique ne confirme pas les raisons théoriques avancées par la raison critique de l’autre, mon humble humilité doit se relever pour reproposer les convictions rejetées. Les solutions mises entre parenthèses doivent être respectées comme des perspectives possibles. Alors l’on fait accepter que la raison critique laisse place à la raison pratique en       arrêtant les discussions par cet appel : « ESSAYONS VOIR ». Pour atteindre ceci l’on doit passer avant tout par l’Education à  la démocratie et à  la positivité afin d’être libre du « moi sauvage » et du « moi servile », du « moi sociale », de « l’orgueil de l’as », de « l’orgueil du sceptre » et de « l’orgueil de l’avoir ».

La raison critique peut être récupérée par l’élite sophiste, la raison pratique appartient aux hommes nouveaux cherchant de nouvelles structures et préoccupés du bien commun. Si pour l’auteur « la démocratie consociative fondée sur la raison critique assure l’autorité des meilleurs », j’ai peur de nous retrouver dans une société de sélection  ou en une oligarchie où les meilleurs se sentent puissants.

 En terminant son article l’auteur écrit : « Si ce modèle s’avère pertinent pour notre société africaine, il faudrait envisager des mécanismes institutionnels efficaces pour l’implanter et le protéger ».

            Pourquoi utiliser SI si l’on est sûr de son type de démocratie ? Doute-t-il de son actualisation pour toute l’Afrique ? Présent-il qu’il y a quelques préalables qu’il a escamotés ?  Voit-il que son projet est propre pour le « laboratoire » et non pour la terre des humains ? Je ne voudrais pas emboîter les pas de John Dunn qui termine son chapitre sur la démocratie en écrivant : « Aujourd’hui en politique, démocratie est le nom de ce que nous ne pouvons pas et que toutefois nous ne pouvons pas cesser de vouloir[4]. Non, la recherche de l’auteur ne doit pas s’arrêter au simple vouloir, mais passer à l’action, car la 11è Thèse sur Feuerbach doit être réalisée, et à  ce propos Gandhi a bien compris quand il écrivait que « si nous ne changeons pas notre vie, nous (ne) pouvons faire (que) des discours, former des partis »[5] (5). Mais « s’il y a un homme qui croit dans (la démocratie), on peut ajuter des zéros à cet homme, et le premier zéro  comptera pour dix, et a chaque zéro on aura une valeur de dix fois supérieure au

 Précédent. Si au contraire on commence avec zéro, si en d’autres paroles personne ne commence, la multitude de zéro donnera toujours comme résultat zéro »[6] (6). Cependant, pour commencer chacun de nous doit commencer par soi même. Voilà  pourquoi ma seconde partie parlera de l’Education qui va conduire les gens à  se forger une démocratie selon leur situation socio-historico existentielle. C’est aux hommes nouveaux « créateurs » de baptiser leurs propres démocraties.

II. DE L’EDUCATION EXISTENTIELLE C0MME PREALABLE A TOUTE DEMOCRATIE

Le Colloque International organisé en Côte d’Ivoire sur la démocratisation en Afrique, s’est terminé le 20/07/1994. Sur quelle note ? S’il faut faire foi au rapporteur de Radio Nederland (en date du 22/7/1994 à  21 h 55’ ), le colloque s’est terminé avec un constat pessimo-optimiste. Qu’est-ce à  dire ? Certains hommes forts africains confisquent le pouvoir et il faut l’intervention ou les contraintes de l’extérieur pour le voir céder une certaine parcelle. Par ailleurs, on a remarqué que plus ça change, plus tout reste la même chose, surtout du point de vue économique.

Le seul point positif que l’on a relevé est la liberté d’expression. Ici encore il faut

attendre un bon gouvernement pour que cette liberté  soit toujours libre dans son expression.

Le souhait émis comme un soupir, est celui de voir d’autres pays africains suivre l’exemple sud-africain où dans le gouvernement existent aussi les places pour les vaincus des élections. Ne soyons pas toujours trop pressés, car l’Afrique du Sud a toute une histoire particulière et les peuples noirs y ont des traditions de lutte et non de fatalisme.

De ma part, je propose une « guerre de position » comme le disait Antonio Gramsci et pour réussir je dois commencer là où je suis à m’éduquer tout en éduquant les autres. Je sais que le changement des structures est nécessaire, « mais ce qui est encore beaucoup plus nécessaire, c’est la conversion et le renouvellement du coeur et de l’esprit (… ), car c’est du coeur et de l’esprit des hommes et des femmes que sortent les désirs et aspirations qui inspirent les systèmes politiques et économiques »[7] . Par l’entretien avec les gens de mon milieu et grâce aux conférences, je perçois dans le langage de mes interlocuteurs la peur de la liberté[8] ( « Utakufwa bure, ushandike vile= tu mouras gratuitement, n’écris pas »). Et pourtant Horace était convaincu qu’il ne pouvait pas mourir tout entiers. Oui, verba volant, scripta manent (les paroles s’envolent et les écrits restent), je perçois l’admiration des escrocs (« Eko ukalamushi iyi njo saa ya ku profiter = il est malin; c’est maintenant le temps de profiter du statu quo ». Voilà  pourquoi le vagabondage politique au Zaire a du succès), tendance à  s’adapter à  la crise (« Twikaletu, Tutafanya je ? Mumwachetu =Restons tranquilles, Que faire ? Laissez-le faire. C’est le refus de combattre, car le combat met en danger la vie. Vaut mieux vivre, misérablement soit-il. Il y a, comme qui dirait une impulsion masochiste ou d’autodestruction, l’auto-nécrophobie.  C’est l’amour pour la mort et non pour la vie), la sous-estimation personnelle (« ibi biote ju twiko beushi = Tout ceci nous arrive parce que nous sommes noirs. On se croit foncièrement mauvais. Sauf du blanc peut provenir du bon. Admirer l’autre c’est bon, sais se sous-estimer et manquer de confiance en soi-même est une maladie mentale. Cette maladie atrophie la créativité, instaure l’ignorance permanente, emprisonne la curiosité du savoir, transforme l’autocritique en haine contre soi-même). Comment peut-on compter sur quelqu’un se trouvant dans cette situation existentielle, situation rendue possible par une pratique socio-historico-politico-économique ? S’ il faut passer à la démocratie sans éducation, ne soyons pas surpris que l’on confie « le bistouri au maçon, la houe au cordonnier »[9] , le filet au forgeron, la direction au bébé etc. C’est ce que nous vivons chez nous au Zaire. L’amour de l’argent (à gagner sans efforts) l’emporte sur l’humilité.

Alors ne soyons pas surpris que toute forme de démocratie ne partant pas d’une éducation mentale favorise ou développe le sous- développement. Comment vouloir aller investir là  où le Bien Commun n’est pas respecté, là où la sécurité des biens n’existe pas ? Mais le développement mental issu d’une éducation Intégrale peut favoriser la démocratie, car le peuple, étant éveillé, saura se battre pour son bien-être et son mieux-être. La biologie devient la biographie comme le dirait P. Freire. On se prend en charge, il y a coresponsabilité selon Emmanuel Levinas. C’est ici que l’on comprendra que « dans le corps humain la tête n’a pas une plus grande valeur parce que se trouvant au sommet du corps, et les plantes de pieds n’ont pas une petite valeur du fait qu’elles touchent la terre. Comme les divers organes du corps humain sont égaux, ainsi sont égaux les membres de la société »[10] ; et quand un membre du corps souffre c’est tout le corps qui souffre, de même chaque membre éduqué de la société doit savoir se pointer comme fautif chaque fois que la RES PUBLICA est aliénée.

L’oubli de l’éducation des agents actifs de n’importe quelle démocratie est une cécité intellectuelle. Marx n’a-t-il pas dit avec raison  que la « démocratie part de l’homme ? »[11] Mais de quel homme ? De l’homme éduqué dans des conditions nouvelles et libres. On doit commencer quelque part. Par moi avant tout et non  par l’autre. Il nous faut une démocratie, et pour que celle-ci ne soit pas décriée en tant que forme de gouvernement, nous devons nous éduquer. Je reste convaincu que « la démocratie est l’essence de chaque constitution politique... Du reste, ça se comprend de soi que toutes les formes politiques ont comme leur vérité la démocratie, et que donc tant qu’elles ne sont pas démocratie elles ne sont pas vraies »[12].  Même le soi-disant dictateur se proclame démocrate. Si Platon et Socrate avaient du mépris «  vis-à-vis de la démocratie athénienne, en réalité leur aversion ne s’adressait pas tant à la démocratie en tant que forme du gouvernement du peuple, mais à  la corruption des hommes cupides qui, sous le couvert de la démocratie, se hissaient au pouvoir afin de réaliser leurs fins personnelles au mépris de l’intérêt général »[13] . C’est dans cette optique que je comprends la mission de Socrate, celle de soigner ses compatriotes de la grave maladie de l’ignorance. C’est l’éducation  de son peuple qu’il recherchait. Je me situe sur la même ligne de recherche. C’est pourquoi j’ai publié un écrit intitulé Quels dirigeants pour la 3è République ?[14]C’est dans ce souci aussi que je plaide pour une éducation : éducation à  la conscience et à  la raison; éducation à l’originalité ou à  la sincérité; éducation à  l’engagement; éducation à  la solitude et non   l’isolement; éducation au dialogue; éducation au bon sens; éducation à  la liberté, éducation à  la compréhension du milieu ou éducation au réalisme; éducation à  la parcimonie; éducation à  la positivité; éducation à  la prudence politique ; éducation à l’esprit démocratique et éducation   l’écoute divine.

Cette révolution éducationnelle commence « avec le grand refus de ce qui est, de ce qu’on est, pour la réalisation de l’utopie »[15]  (Utopie pour ceux-là  qui croisent les bras mais réalité pour moi qui crois qui la démocratie commence avec la CONVERSION ). Le cadre ne me permet pas de développer chaque chapitre de l’éducation. Pour l’éducation à  la conscience et à la raison, la brochure suivra cet écrit car les matériaux sont presque rassemblés.

Cette seconde partie marque ici les pas.

 

 

 

CONCLUSION

En bemba l’on dit : « Ushitasha mwana wa ndoshi = celui qui ne sait pas apprécier les autres est digne d’être un fils du sorcier). Je dois remercier le philosophe Irung dont les intuitions sur la démocratie ont fait naître cet écrit. Après l’avoir lu, je suis devenu un autre. Son écrit tait partie de mon existence et ne pas le reconnaître serait une malhonnêteté intellectuelle. Son seul punctum dolens (point faible), selon moi, est d »avoir proposé un seul type de démocratie pour toute l’Afrique, et pourtant il sait bien - je le présume qu’il y a plusieurs afriques ayant chacune sa propre histoire et ses propres visées. L’auteur aurait été, peut-être, plus intéressant s’il avait cherché pour son pays un type de démocratie .Il gagnerait en profondeur. Je ne lui pardonne pas de n’avoir pas donné le primat à l’éducation même s’il y fait allusion à  la page 536.

A travers lui, je critique tous les chercheurs idéalistes confondant l’universel (Afrique) au particulier (pays donnés l’Afrique). Toute sociologie de développement qui oublierait mes présupposés serait un discours mystificateur propre au laboratoire.

Alors  je relance la question : « Quelle démocratie faudrait-il  pour tel pays après une éducation appropriée ? »  J’interpelle tous les chercheurs de différentes disciplines.

 

 

 



[1]  GRAMSCI, A., Quaderni del Carcere : II materialisme storico , Istituto Gramsci, Torino,

1979, p. 58.

 

[2] GANDHI, M.K., Teoria e pratica della non violenza ( a cura e con un saggio introdduttivo di Giulian Pontara. Traduzione di Fabrizio Grillenzoni Silvia Calamandre), Giulio Einaudi Editore, Torino, 1984, p.119.

[3] LENINE, V.I., Opere scelte, Ed.Progress, Mosca, 1982, p.293.

[4] DUNN, J., La teoria politica di fronte al futuro, traduzione de Lapo Berti, Editore Ciangiacomo Feltrinelle, Milano, 1983, p.52.

[5] GANDHI, M.K., o.c., p .125.

[6] Ib., p.126.

[7] Mémorandum des Evêques du Zaire au Président de la République, 9 mars 1990, n° 15.

[8] Je tiens cette expression de Paulo Freire, La pedagogia degli oppressi, Arnoldo Mondadori Edittore, Milano, 1971.

[9] NTUMBA Bilenge, A.,  L’esprit du développement, triple interpellation, dans  Renaître 11-30 ( juin 1992), p.7.

[10] GANDHI, M.K.,o.c., p.125.

[11] MARX, K., Opere scelte ( a cura di Luciano Gruppi), Editori Riuniti, Roma, 1979, p.13.

[12] Ib., p.13-14.

[13] MUSUA Nimbari, La démocratie comme valeur universelle et exigence du progrès. Le cas de l’Afrique,  dans Les Nouvelles Rationalités Africaines Vol 3 n° 10 ( janvier 1988) p.182.

[14] MPALA Mbabula, L., Du découpage du Katanga ou du dévoilement de l’escroquerie ?  suivi de Quels dirigeants pour la 3è République ?, Editions Mpala, Lubumbashi, 1992.

[15] IDEM, Le chrétien face à la politique ou de l’éducation à la Révolution intégrale, Ed. Mpala, Lubumbashi, 1993.