Afin d’apprendre aux humains à vivre en communauté et non d’une façon isolée, ils leur disaient qu’ « un arbre ne fait pas la forêt ». L’homme, symbolisé par un arbre, est appelé à ne pas se prendre pour un être indépendant et se suffisant. Il a toujours besoin des autres pour être reconnu homme et pour devenir réellement homme. Il est un être-avec-et-pour-les-autres même si de temps en temps il expérimente la solitude. Celle-ci est accidentelle à sa nature humaine.

            En outre, ils savaient que toute la société, par l’éducation, a le devoir de sauver tout homme et tout l’homme et doit faire croître en lui ce qu’il y a d’humain. Pour bien illustrer cela, ils enseignaient que « si on coupe le cœur du palmier, tout l’arbre est mort ». Soucieux de préserver le cœur du palmier qu’est l’homme, ils invitaient les jeunes gens à tenir compte des conseils sages, car, clamaient-ils, « l’arbre qui n’ose pas faire pénétrer ses racines est  improductif ».

 

 

 

 

 

 

 

L’ARBRE DANS LA SAGESSE AFRICAINE

Lecture humaniste de l’arbre[1]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

            La philosophie se veut une réflexion sur la totalité du réel ; or l’arbre appartient au monde matériel réel. Il va de soi que la philosophie fasse attention à l’arbre.

            Ma réflexion sur l’arbre n’a pas l’allure écologique encore moins théologique. J’ai interrogé les sages africains sur ce que l’arbre a à nous apprendre et ils m’ont répondu.

            Nous verrons que l’arbre, dans la sagesse africaine, est plus que son ombre pour le repos des fatigués ou le bois pour  le feu. Il est l’image de l’homme ou de la personne humaine. Ceci explique le fait que l’arbre est un objet didactique. En d’autres termes, par analogie, nos sages, conscients de l’importance de l’arbre, le prennent comme un exemple à imiter dans la croissance humaine et dans les  relations humaines, car l’homme est un être social, un être-avec-les autres. En outre, il sied de signaler que l’homme est aussi un être-pour-la –mort ou un être-accompagné-de-la-mort comme le disent nos sages : « Umuntu enda ne mfwa=l’homme se promène avec la mort ».

            L’arbre, pour nos anciens philosophes, symbolise l’homme.

            Ce qui précède fait voir que ma réflexion sur l’arbre se situe sur le parcours éducationnel.

            Nos anciens philosophes africains étaient réalistes et bons observateurs. Ils voyaient dans la nature, et plus particulièrement en l’arbre, un prétexte pour éduquer les jeunes et les vieux.

            Ne voulant pas disparaître avec leur sagesse provenant d’une expérience vécue et éprouvée, ils codifié l’éducation par l’arbre dans des proverbes. Ces derniers feront l’objet de ma réflexion, toutes les fois qu’ils parlent de l’arbre.

            Ma réflexion est subdivisée en deux points. Le premier parlera de l’homme comme un être-avec ; le second le présentera comme un êtere-pour-la-mort. Tout sera appréhendé à partir de l’arbre.

            Cette approche de l’arbre s’écarte de celle de Porphyre. Philosophe, je ne parlerais pas de l’arbre de Porphyre, mais de l’arbre que chacun de nous voit, touche et sous lequel il peut s’abriter.

 

 

 

 

 

  1. L’HOMME COMME UN ETRE-AVEC

            Nos anciens philosophes africains, par l’observation, faisaient certains constats coulés sous formes des proverbes.

            Afin d’apprendre aux humains à vivre en communauté et non d’une façon isolée, ils leur disaient qu’ « un arbre ne fait pas la forêt ». L’homme, symbolisé par un arbre, est appelé à ne pas se prendre pour un être indépendant et se suffisant. Il a toujours besoin des autres pour être reconnu homme et pour devenir réellement homme. Il est un être-avec-et-pour-les-autres même si de temps en temps il expérimente la solitude. Celle-ci est accidentelle à sa nature humaine.

            En outre, ils savaient que toute la société, par l’éducation, a le devoir de sauver tout homme et tout l’homme et doit faire croître en lui ce qu’il y a d’humain. Pour bien illustrer cela, ils enseignaient que « si on coupe le cœur du palmier, tout l’arbre est mort ». Soucieux de préserver le cœur du palmier qu’est l’homme, ils invitaient les jeunes gens à tenir compte des conseils sages, car, clamaient-ils, « l’arbre qui n’ose pas faire pénétrer ses racines est  improductif ».

            Par ailleurs, ils interpellaient la jeunesse et les vieux à cultiver certaines vertus afin de vivre en communauté et de tisser de bonnes relations avec autrui. De ce fait, ils s’adressaient aux orgueilleux  et hommes irrespectueux à cause de leur richesse ou position sociale en ces termes : « Un arbre à épines ne sert pas d’appui ». Les «épines » symbolisent les injures, l’orgueil ou tout caractère humain qui ne respecte pas les autres. En effet, un homme fatigué ne pourra se pourra pas s’appuyer contre l’arbre pour se reposer ou reprendre ses forces. Il est visible, dans nos sociétés africaines, que l’on visite paisiblement un pauvre hospitalier qu’un riche dont les paroles sont blessantes et humiliantes. On préfère être pauvre et respecté. Cela fait partie de la dignité humaine et de l’estime de soi. Toujours à propos des hommes insolents, injurieux et irrespectueux, nos anciens philosophes africains disaient : « Cet arbre couvert de fourmis rouges : quel oiseau ira-t-il s’y poser ? ». Les fourmis rouges symbolisent le mauvais caractère et l’oiseau l’homme. Ceci étant, pour que la jeunesse ne voit pas les « épines » pousser dans son cœur et sa bouche et pour que les Fourmies rouges ne couvrent pas son être ou son caractère, ces anciens philosophes africains insistaient sur un fait, à savoir faire apparaître les vertus dans la jeunesse et ce dès l’enfance. Pour cela, ils recouraient toujours à l’arbre : « L’arbre fleurit avant de donner des fruits ». En d’autres termes, on apprend à la jeunesse à ne pas attendre la vieillesse pour apprendre à être une personne digne de ce nom.

            Comme l’adolescence est période difficile et décisive, ils avertissaient la jeunesse à être prudente et appliquée au travail. Afin que la presse ne puisse faire pousser ses racines dans le cœur de la jeunesse, les anciens avertissaient : « L’arbre qui ne laisse pas tomber ses fruits, frappe-le du pied ». Par ce proverbe, les jeunes comprenaient que celui qui ne travaille pas, n’a pas de place dans la société. Chaque jeune est convié à avoir des initiatives et à être créatif.

            Quant à ce qui concerne la prudence, la fille était interpellée en ces termes : « Un arbre en fleur reçoit la visite des insectes ». Par ce proverbe, la jeune fille est conviée à ne pas céder aux avances des garçons et à  se maîtriser.

            Réalistes, ces anciens savaient que les relations humaines sont souvent perturbées par les conflits inhérents à tout vivre-ensemble. Pour ne pas se laisser entraîner dans des conflits et vengeances, ils devraient atténuer toute situation conflictuelle par certains proverbes dont ceux-ci : « Les arbres rapprochés ne manquent pas de se cogner (quand il y a un grand vent) » ; cependant ils faisaient aussi remarquaient que « si les arbres sont proches et bien ensemble, ils s’aident mutuellement durant la tempête ». Comme on le voit, le vent, symbole du conflit et des difficultés dans les relations humaines, est vu sous plusieurs angles et ce en vue de le relativiser. Il y va de la survie de la communauté humaine.

            Faisons remarquer que ces anciens, dans leur souci de rendre les gens généreux et solidaires, ils avaient appel à l’arbre « maïs » à ne pas imiter : « Ne soyez pas comme les épis du maïs qui vivent ensemble l’un près de l’autre sans s’entraider à tresser leurs cheveux ». En effet, les « cheveux » des épis de maïs sont épars.

            Dans les relations humaines, les anciens ont mis l’accent sur le respect mutuel. Petit et grand sont des êtres humains qui méritent du respect mutuel. Ainsi, ils avertiront : « Si gros que soit le baobab, il est né d’une graine ». Autrement dit, tout homme trouve sa source en une autre personne quand bien même il serait dans une position sociale supérieure aux autres. L’humilité est de rigueur. Voilà pourquoi même un plus petit que soit mérite du respect, car « un arbrisseau, si petit soit-il, peut donner de l’ombre ». Tout homme, dans la société, a toujours besoin de l’autre et même du plus petit que soit. Ceux qui occupent de haute responsabilité dans la société, ne doivent jamais oublier qu’il sont humains comme les autres et que la sensibilité humaine est une qualité à ne perdre : « Toi arbuste situé sur la montagne ne te crois pas plus grand tous les autres arbres ». Autrement dit, le Roi tout comme tout président d’un pays est invité au respect des autres humains.

            Nos sages, réalistes et optimistes de la vie, appelaient les gens, dans leur être-avec, à être bons envers tous, même envers les ingrats. Ainsi, ils argumentaient en ces termes : « L’arbre ne retire pas son ombre, même au bûcheron qui le coupe », « l’arbre tombé, les singes se dispersent » (ingratitude).

            En outre, pour ne pas être victimes des apparences, ils interpellaient les gens en ces mots : « On croyait avoir abattu un bel arbre, on découvre qu’il est creux » ou mieux « un bel arbre est tombé : il était pourri à l’intérieur ».

 

2. L’HOMME EST UN ETRE-POUR-LA-MORT

            Le langage de nos anciens est souvent imagé et il a tout un arsenal stylistique. Ils recourent à l’analogie, à la métaphore, à la prosopopée, etc.

            Pour dire que tel sage est mort, ils annonçaient que « l’arbre est tombé ». Autrement dit, l’ombre ne sera plus et les oiseaux manqueront un arbre touffus où se reposer et où tresser leur nid.

            Quand ils voulaient conseiller les jeunes à bien mourir, ils murmuraient : « Mourez comme le bananier qui tombe en donnant de son fruit : c’est le poids de son régime qui l’emporte ».

            Cependant, quand ils voulaient faire voir comment la mort est amère et fait souffrir, ils ne s’empêchaient de crier tout haut : « Un seul arbre qui tombe fait plus de bruit que toute une forêt qui pousse ».

 

 

CONCLUSION

            J’aurais bien voulu en dire encore plus, mais je dois marquer les pas pour permettre à mon lecteur de méditer sur l’un ou l’autre proverbe.

            A mon humble avis, la journée de l’arbre, à côté de son caractère purement écologique, aurait beaucoup à gagner en organisant des conférences ayant trait aux proverbes portant sur l’arbre. Sans éducation à l’arbre , la journée de l’arbre risque de sombrer dans le folklorisme. Qu’elle soit une occasion pour éduquer la jeunesse.

            Je ne peux pas terminer ce texte dans rappeler que celui qui oublie ses ancêtres est comparable à un ruisseau sans source et un     arbre sans racines. Celui qui n’apprend pas à son enfant la langue de ses ancêtres se ferme certaines portes pouvant lui ouvrir sur plusieurs conceptions du monde dont chacun de nous a besoin pour bien s’orienter dans ce village planétaire.

Merci.

BIBLIOGRAPHIE

DEFOUR, G., Cinq mille proverbes pour la loi des hommes nouveaux , Bukavu, Editions Bandari, 1990.

MPASHI, A.S., Icibemba na mano yaciko, London, Oxford University Press, 1996.



[1] Ce texte est une conférence tenue à Kinshasa le 5/12/1998 aux Facultés Catholiques de Kinshasa lors de  La journée de l’Arbre