« Peut-on parler d’un « EVENEMENT KAOZE » ? »[1] C’est par cette question que commence l’introduction du livre Paix au Congo. Stefano Kaoze : une vie… des proverbes… Oui, fut la réponse et oui est aussi ma réponse. Les auteurs dudit livre situent cet événement au jour où le jeune garçon avait déclaré à son oncle maternel, le Chef Mwembezi, qu’il voulait découvrir le secret des papiers des Blancs.[2] J’ai ma façon de voir cet Événement.

      Je l’appelle Événement Stefano et non « Événement Kaoze », pour la simple raison que « Monsieur l’Abbé Etienne Kaoze [était] plus connu sous le nom de Padri Stefano ».[3]

A mon humble avis, l’Événement Stefano est semblable à une pièce théâtrale à plusieurs actes. En recevant l’ordre mineur de la tonsure,  quelque chose devait tôt ou tard arriver. Et scientifiquement, un acte de la pièce fut joué le 08 août 1910 quand le Père Vermeersch a reçu le manuscrit qu’il publiera dans la Revue Congolaise sous le titre Psychologie des Bantu.

« Indigène civilisé »[4]  qui n’est pas « un nègre quelconque »,[5] Stefano Kaoze se taille la place sous le soleil et en publiant, en 1911, dans la Revue Congolaise la suite de son livre (articles ainsi que quelques lettres), il « trouve une audience de plus en plus large ».[6] En quoi cet article est-il un des actes de la pièce « Événement Stefano » ? Antoine Tshitungu Kongolo a des mots justes comme réponse à ma question. Selon lui, et en cela il a tout à fait raison, La psychologie des bantu est un « pendant congolais »[7] à L’esquisse de la psychologie de nos Noirs de Mgr Roelens qui ne relève pas d’un mimétisme comme d’aucuns l’ont affirmé.[8] L’écrit de Stefano Kaoze est une prise de position raisonnée dans un large champ de bataille à la fois politique et intellectuelle. Du point de vue politique, l’article, comme le souligne Antoine Tshitungu Kongolo, « s’insère dans la stratégie de défense des missionnaires, mis en cause pour leur méthodes autant que pour le bilan de leur action civilisatrice ».[9] Ayant pour destinataire de facto le lecteur métropolitain, Stefano Kaoze cherche à « illustrer, à travers sa prise de parole concédée, l’excellence de l’enseignement des missions en butte aux assauts de tenant de laïcisation de l’école au Congo, et partout de légitimer la globalité de l’action des missions, alors mise à mal ».[10] Comme prise de position intellectuelle, La psychologie des bantu se veut être une arme intellectuelle. De par son titre, l’article annonce ses couleurs. Le choix lexical, substituant le vocable BANTU à NOIR, est « une récusation mezza voce de la terminologie missionnaire en cours »[11] et annonce « un écart, même infime, vis-à-vis des textes missionnaires qui ont incontestablement servi de modèle à l’élève [Stefano Kaoze] ».[12] Et la fortune qu’aura le vocable BANTU « dans la période de l’après-guerre et tout le parti qu’en tireront Placide Tempels, Paul Lomami-Tshibamba, Alexis Kagame dans leurs écrits respectifs »[13] marque une rupture lexicale.  Arme intellectuelle, La psychologie des Bantu cherche à mettre les pendules à l’heure quant à ce qui concerne « ce que nous sommes, nous Benyi-Marungu, et ce que nous ne sommes pas »[14] face à ceux qui, « parce qu’ils ont tout, ont fait de notre pays le leur ».[15] Et Stefano Kaoze y fait un serment de la Révolution de la liberté : « On ne pourra nullement lier notre immunité interne et physique de tout lien ; nulle corde, nulle chaîne, nulle prison, ne peut toucher cet être interne ».[16]



[1] CENTRE D’ARCHIVES ECCLESIASTIQUES S. KAOZE KINSHASA, Paix au Congo. Stefano Kaoze : une vie … des proverbes… , Lubumbashi, PUL, 2005, p. 7.

[2] Cfr Ibidem, p. 8.

[3] Mort de Mr l’Abbé Stefano Kaoze, premier prêtre indigène au Congo Belge, Dans Révue du Clergé Africain N° 1, t. 6, 1951, p. 221.

[4] A. VERMEERSCH (s.j.), Les sentiments supérieurs chez les congolais. Partie documentaire I. Les congolais, d’après un congolais civilisé, dans Stefano KAOZE, La psychologie des bantu et quelques lettres (1907-1911). Reproduction anastatique par A. J. SMET, Kinshasa, Département de Philosophie et Religions Africaines/ Faculté de Théologie Catholique, 1979, p. 3.

[5] Ibidem, p. 4.

[6] CENTRE D’ARCHIVES ECCLESIASTIQUES S. KAOZE KINSHASA, Op. Cit., p. 69.

[7] Antoine TSHITUNGU Kongolo, La présence belge dans les lettres congolaises. Modèles culturels et littéraires. Préface de Julien KILANGA Musinde, Paris, L’harmattan, 2008, p. 285.

[8] Ibidem, p. 299.

[9] Ibidem, p. 289.   Souligné par l’auteur.

[10] Ibidem, p. 299.

[11] Ibidem, p. 300.

[12] Ibidem, p. 300.

[13] Ibidem, p. 300.

[14] Stefano KAOZE, Op. cit., p. 9.

[15] Ibidem, p. 25.

[16] Ibidem, p. 18.

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