La Lettre à Ménécée, lettre qui se veut un résumé de la doctrine d’Epicure quant à l’éthique, est un discours d’exhortation, de « protreptique » invitant les jeunes gens à philosopher. G. Arrighetti traite la Lettre à Ménécée d’ « un véritable manifeste philosophique, ce que d’un terme technique on appelait alors protreptique »[1].

Pour Epicure, la philosophie est une THERAPIE : elle procure la santé de l’âme et tout homme, tout âge confondu, en a besoin : « Il faut philosopher pour être heureux et malheur à celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée pour lui »[2]. Le jeune a besoin de philosopher « pour rajeunir au contact du bien que la philosophie procure et afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir »[3]. Le vieillard est aussi invité à philosopher, cela lui permettra de se remémorer « les jours agréables du passé »[4] afin de rendre agréable le présent ou la vie présente.

Puisqu’il faut philosopher pour être heureux sur la terre, Epicure, de ce fait, nous invite, à travers son disciple Ménécée, à « méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous nous manque, nous faisons tout pour l’avoir »[5]. En effet, tout homme cherche le bonheur. C’est cela l’Eudémonisme.

« Méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur » revient aussi à méditer sur les causes qui peuvent empêcher le bonheur. Voilà la tâche à laquelle Epicure s’adonnera dans cette lettre et pour que Mécène bénéfice de bons fruits des enseignements de son maitre, il doit se convaincre que la philosophie est un mode de vie ayant des exercices spirituels. Et dans cette lettre, Epicure propose quelques exercices spirituels dont : « attache-toi…, médite-les…, regarde-le…, prends l’habitude de penser que… rappelle-toi que… médite donc… médite-les jour et nuit… »[6]. Pierre Hadot s’appesantit sur l’exercice spirituel de la méditation. Méditer, écrit-il, « c’est-à-dire s’assimiler intimement, prendre conscience intensément des dogmes fondamentaux »[7]. J’entends par « dogmes fondamentaux » les enseignements du maitre : « Attache-toi donc aux enseignements que je n’ai cessé de te donner et que je vais te répéter ; mets-les en pratique et médite-les »[8].

Le rôle de la philosophie nous fera voir en quoi consiste la vraie recherche du bonheur ou but de la vie humaine.



[1] G. ARRIGHETTI, ., « Epicure », dans Dictionnaire des philosophes, Paris,

Encyclopédia universalis/Albin Michel, 1998, p. 525.

[2] EPICURE, Lettre à Ménécée, §122, Traduction d’Octave Hamelin (1910) Edition électronique (club, PDF) : Les Echos du maquis, 2011. Disponible sur http://philosophie-accreteil.fr.

[3] Ibidem.

[4] Ibidem.

[5] Ibidem. Je souligne.

[6] Ibidem.§ 123 et 135.

[7] P. HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Paris, Gallimard, 1995p. 191.

[8] EPICURE, op. cit., § 123.

APPRENDRE A VIVRE ET A MOURIR SELON EPICURE

Par Louis MPALA Mbabula


Pour citer cet article : Louis MPALA Mbabula, « Apprendre à vivre et à mourir selon Epicure »[en ligne] http://www.louis-mpala.com/index.php/2020/12/14/316-apprendre-a-vivre-et-a-mourir-selon-epicure

 

INTRODUCTION

J’ai revisité le philosophe grec Epicure afin de me remettre à son Ecole et de voir en quelle mesure il peut nous apprendre à vivre  et à mourir à travers sa Lettre à Ménécée.

Propriétaire d’un Jardin qui lui servait de lieu de son Ecole, Epicure compta parmi ses disciples et les femmes (et parmi elles les hétaires) et les esclaves (qui ont aussi droit à philosopher, sans pour autant demander leur affranchissement), exclus de la citoyenneté et les hommes libres. Vivant sobrement, Epicure et ses disciples ne pratiquaient pas la débauche dont ils furent injustement accusés par la suite[1].

Par ailleurs, il sied de signaler que l’expression Carpe diem est d’Horace et non d’Epicure, nous rappelle André Comte-Sponville dans ses objections contre Luc Ferry[2].

Apprendre à vivre et à mourir veut que l’on parle de l’urgence de philosopher et de la recherche du bonheur ou le but de la vie.

 

1. L’urgence à philosopher

La Lettre à Ménécée, lettre qui se veut un résumé de la doctrine d’Epicure quant à l’éthique, est un discours d’exhortation, de « protreptique » invitant les jeunes gens à philosopher. G. Arrighetti traite la Lettre à Ménécée d’ « un véritable manifeste philosophique, ce que d’un terme technique on appelait alors protreptique »[3].

Pour Epicure, la philosophie est une THERAPIE : elle procure la santé de l’âme et tout homme, tout âge confondu, en a besoin : « Il faut philosopher pour être heureux et malheur à celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée pour lui »[4]. Le jeune a besoin de philosopher « pour rajeunir au contact du bien que la philosophie procure et afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir »[5]. Le vieillard est aussi invité à philosopher, cela lui permettra de se remémorer « les jours agréables du passé »[6] afin de rendre agréable le présent ou la vie présente.

Puisqu’il faut philosopher pour être heureux sur la terre, Epicure, de ce fait, nous invite, à travers son disciple Ménécée, à « méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous nous manque, nous faisons tout pour l’avoir »[7]. En effet, tout homme cherche le bonheur. C’est cela l’Eudémonisme.

« Méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur » revient aussi à méditer sur les causes qui peuvent empêcher le bonheur. Voilà la tâche à laquelle Epicure s’adonnera dans cette lettre et pour que Mécène bénéfice de bons fruits des enseignements de son maitre, il doit se convaincre que la philosophie est un mode de vie ayant des exercices spirituels. Et dans cette lettre, Epicure propose quelques exercices spirituels dont : « attache-toi…, médite-les…, regarde-le…, prends l’habitude de penser que… rappelle-toi que… médite donc… médite-les jour et nuit… »[8]. Pierre Hadot s’appesantit sur l’exercice spirituel de la méditation. Méditer, écrit-il, « c’est-à-dire s’assimiler intimement, prendre conscience intensément des dogmes fondamentaux »[9]. J’entends par « dogmes fondamentaux » les enseignements du maitre : « Attache-toi donc aux enseignements que je n’ai cessé de te donner et que je vais te répéter ; mets-les en pratique et médite-les »[10].

Le rôle de la philosophie nous fera voir en quoi consiste la vraie recherche du bonheur ou but de la vie humaine.

2. La recherche du bonheur ou le but de la vie

Ci-haut, j’ai parlé de l’Eudémonisme, le fait que toute personne cherche le bonheur. Pour y arriver, il faut savoir par où commencer et en quoi consiste ce Bonheur.

2.1. Causes à éviter pour être heureux

Epicure dit : « Il faut méditer sur les causes… ».

2.1.1. Causes du malheur

La première cause du malheur et qui gâche la vie est la mauvaise conception de dieu, laquelle conception engendre la peur de dieux. Voilà pourquoi Epicure invite Ménécée à se détourner des croyances populaires sur les dieux : « Commence par te persuader qu’un dieu est un vivant immortel et bienheureux »[11]. Epicure affirme l’existence des dieux. Il n’est pas athée. Mais des dieux, l’on doit avoir une idée juste, une connaissance sûre, évidente. Les dieux sont des vivants formés d’atomes subtiles et ils sont ainsi différents des vivants humains. Voilà pourquoi ils sont immortels. Leurs atomes ne se désintègrent pas.  De ce fait, ils ne meurent pas. Ils sont immortels contrairement aux hommes dont les atomes se désintègrent à la mort. En outre, les dieux sont heureux. Personne ne peut leur nier l’immortalité et la béatitude. Ceci étant, Epicure qualifie d’Impie non pas « celui qui rejette les dieux de la foule [qui crée les dieux à son image] : c’est celui qui attribue aux dieux ce que leur prêtent les opinions de la foules »[12]. Pour Epicure, la foule n’ayant pas une connaissance évidente sur les dieux, fait des affirmations qui ne sont pas « des prénotions, mais bien des présomptions fausses. Et ces présomptions fausses font que les dieux sont censés être pour les méchants la source des plus grands maux comme, d’autre part, pour les bons la source des plus grands biens »[13]. Dire que les dieux punissent les bons relève de l’absurde.

Bref, Epicure, sûr de sa connaissance évidente sur les dieux, invite Ménécée à s’écarter de la superstition..

De ce qui précède, il est absurde et stupide de craindre les dieux immortels, heureux et insouciant de la vie humaine. Sinon ils ne seraient pas heureux devant les tracasseries du monde humain, monde auquel ils n’appartiennent pas.

La deuxième cause du malheur humain est la crainte de la mort. Epicure, sur ce point, interpelle son disciple : « Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous »[14]. Pourquoi avoir l’habitude de penser ainsi ? Le penser ainsi fait partie de l’exercice spirituel sur soi. Et la connaissance de ce  qu’est la SENSATION libère l’être humain de la peur de la mort, « car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle »[15]. L’homme étant formé des atomes a la sensation. Une fois les atomes désagrégés, il n’y a plus de sensation. Les vivants seulement constatent la mort qui n’est rien d’autre que la privation de toute sensation. C’est cette connaissance qui délivrera l’homme de cette peur de la mort. Ou bien on sent, alors on est vivant ; ou bien on est mort, et on ne sent plus. C’est l’un ou l’autre. C’est la logique d’exclusion. Et une fois cette connaissance acquise, on saura qu’on est mortel et on ne craindra plus la mort et logiquement l’on doit être capable « de jouir de cette vie mortelle », puisqu’elle est brève. Ceci étant reconnu, l’on ne doit pas se priver de la vie qui n’est que courte. Le malheur de l’homme serait de se croire immortel.

En effet, de ce qui précède, Epicure reste convaincu qu’il  « ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable »[16]. Encore une fois, la connaissance est mise en exergue : pour qui a vraiment compris. « Vraiment compris » est une expression qui montre que la vraie compréhension quant à ce qui concerne la mort comme étant toute privation de la sensibilité, est une forme de libération et puisqu’il en est ainsi, on aura une conscience claire et distincte de l’acceptation de la mortalité et du rejet du « désir [vain] de l’immortalité »[17]. Par ailleurs, « hors de la vie il n y a rien de redoutable » comme châtiment dans l’au-delà qui n’existe pas, car les dieux eux-mêmes ne sont pas dans l’au-delà. Ils sont dans notre univers, invisibles à nos yeux suite à l’agrégation subtile des atomes dont ils sont faits. Mais ils ne connaissent pas la désagrégation des atomes. D’où il serait profitable, pour l’être humain, de « jouir de cette vie mortelle » qui lui revient pendant qu’il est vivant, car l’au-delà n’existant pas, il ne doit jamais compter ou espérer y aller vivre pleinement.

 

Les deux causes du malheur humain étant diagnostiquées, Epicure prescrit le remède pour soigner l’être humain contre les deux peurs : celle des dieux et celle de la mort.

2.1.2. « Quadruple remède » ou « tétrapharmakos »

            Epicure, médecin spirituel, prescrit une “ordonnance” spirituelle en quatre points connue sous le nom de « quadruple remède » ou « tétrapharmakos ». D’après Robin Guilloux, Philodème de Gadara dans son Contre les sophistes parle de ce tétrapharmakos en ces termes : « Les dieux ne sont pas à redouter ; la mort ne crée pas de souci. Et alors le bien est facile à obtenir, le mal est facile à supporter »[18]. Dans le paragraphe 133 de la Lettre à Ménécée, on retrouve d’une façon ou d’une autre, ce qui a trait au troisième et quatrième remède.

 « Les dieux ne sont pas à redouter »

            Pour ce faire, « il faut se forger une opinion correcte à leur égard »[19]. Pour ne pas sombrer dans « les affirmations de la foule sur les dieux »[20].

 N’avoir aucune crainte de la mort

            Epicure cherche à persuader et à convaincre son disciple que « la mort n’est rien pour nous »[21]. Qu’est-ce à dire ? Aussi longtemps que nous existons, « la mort n’est pas, et que quand la mort existe, nous ne sommes plus »[22]. Autrement dit, il n’y aura jamais de rendez-vous entre l’homme et la mort. D’où Epicure tire cette conclusion : « Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus »[23]. Malheureusement, fait remarquer Epicure, « la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie »[24]. Ceci étant, il est insensé de conseiller « aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir »[25]. Ceux qui le font sont dans une ignorance,  car « la vie a du bon même pour le vieillard, [et] parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un »[26].

« Le bien est facile à obtenir »

            Le bien est facile à obtenir si l’on vit comme sage qui s’est fait « sur les dieux des opinions pieuses »[27] et qui, de ce fait même, vivant sans crainte de la mort, atteint et réalise dans son intégrité le souverain bien qu’est le bonheur.

 « Le mal est facile à supporter »

            Toujours, celui qui vit comme un sage en jouissant du souverain bien, n’a pas peur du mal, car pour lui, « le mal le plus extrême est étroitement limité quant à la durée ou quant à l’intensité ; il se moque du destin dont certains font le maitre absolu des choses »[28].

            Les tétrapharmakos étant prescrit, Epicure nous propose ce qu’il faut faire pour être heureux.

2.2. A faire pour être heureux

            Epicure montre la voie à suivre pour être heureux. Voilà pourquoi, sur le chemin, le premier pas consiste à pratiquer une ascèse des désirs ou discrimination des désirs.

2.2.1. Ascèse des désirs ou discrimination des désirs

            Epicure enseigne que le Bonheur que nous cherchons toute notre vie durant se trouve dans le PLAISIR. C’est cela l’Hédonisme. Comme il y a plusieurs sortes de désirs, il sied d’avoir une méthode pour arriver à atteindre le Bonheur. C’est ici qu’intervient l’ascèse des désirs qui « se fonde sur la distinction entre les désirs naturels et nécessaires, les désirs naturels et non nécessaires, et enfin les désirs vides, ceux qui ne sont ni naturels, ni nécessaires »[29]. Cette ascèse consiste en un travail sur soi-même, car il faut faire une discrimination sans complaisance de ses propres désirs en s’interrogeant par soi-même : « Qu’est-ce que [m’] apporterait la satisfaction de tel ou tel désir ? »[30].

            Comme on peut le deviner, Epicure nous convie à acquérir la connaissance de l’essence des désirs afin de les choisir ou de les refuser en connaissance de cause, celle qui n’est pas contraire à notre nature « qui nous indique par le plaisir ou la douleur ceux dont il faut s’écarter et ceux dont la satisfaction nous rend heureux »[31]. Bref, par l’Ascèse éclairée par la connaissance de soi et de désirs, nous parviendrons à limiter et même à supprimer « les désirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires, en limitant le plus possible ceux qui sont naturels, mais non nécessaires, car ceux-ci ne suppriment pas une souffrance réelle, mais ne visent qu’à des variations dans les plaisirs et ils peuvent entraîner des passions violentes et démesurées »[32].

            L’Ascèse des désirs conduit, à dire vrai, à une Economie subtile du plaisir et de la douleur. Ceci étant, le critère de leur choix se fondera  sur une comparaison avisée en voyant les avantages et les inconvénients que les plaisirs procurent[33].

            De ce qui précède, on verra Epicure établir une hiérarchie des désirs devant engendrer le Plaisir.

2.2.1.1. Désirs naturels  

            Epicure appelle Désirs naturels ceux dont notre nature humaine a besoin pour vivre heureux. Cependant, Epicure divise en deux les désirs naturels : les désirs naturels et nécessaires et les désirs naturels non nécessaires.

2.2.2.1.1.1. Désirs naturels et nécessaires

            Parmi les désirs naturels et nécessaires, nous pouvons citer manger, boire, s’abriter, philosopher, etc. Ces désirs ont une satisfaction qui « délivre d’une douleur et [ils] correspondent aux besoins alimentaires, aux exigences vitales (…). [Ce sont des] désirs limités par les exigences de la nature et faciles à satisfaire (…). Il s’agit d’évaluer les désirs à l’aune du plaisir, de l’absence de souffrance »[34].

            Les désirs naturels et nécessaires se subdivisent en désirs nécessaires pour le bonheur, en désirs nécessaires pour le bien-être du corps et en désirs nécessaires pour la vie elle-même.

2.2.2.1.1.1.1. Désirs nécessaires pour le bonheur

            Epicure invite Ménécée à se rendre compte que « parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur… »[35]. Parmi ces désirs, je citerai les désirs de la sagesse, de l’amitié. Comme on le voit, ces désirs ne sont pas liés aux exigences biologiques.


 

2.2.2.1.1.1.2. Désirs nécessaires pour le bien-être du corps

            Epicure continue : « Parmi les désirs nécessaires (…), les autres [sont] pour la tranquillité du corps »[36]. Se protéger des dangers, des intempéries, rechercher la santé du corps, « car nous faisons tout afin d’éviter la douleur physique… »[37]. C’est cela l’Aponie, absence de douleurs du corps.

2.2.2.1.1.1.3.  Désirs nécessaires pour la vie elle-même

            Epicure termine par dire que « parmi les désirs nécessaires (…), les autres [sont] pour la vie même »[38]. C’est, par exemple, manger et boire et Epicure s’explique : « Voix de la chair, ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid ; celui qui dispose de cela, et à l’espoir d’en disposer à l’avenir, peut lutter même avec Zeus pour le bonheur »[39].

            Voilà les désirs qui engendrent le Plaisir, but de la vie, et qui procure le Bonheur signifiant « la satisfaction non pas de tous les désirs mais de ceux dont la réalisation nous assure la plénitude de contentement. Il suffit pour les reconnaitre de vivre en accord avec la nature »[40].

            La vie heureuse, but de la vie que nous cherchons et recherchons, consiste, en dernière analyse, en l’absence de douleurs du corps et de trouble de l’âme : « Car nous faisons tout afin d’éviter la douleur physique et le trouble de l’âmeC’est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse »[41]. Aponie rime avec Ataraxie. C’est un plaisir en repos, par exemple, pour le corps, c’est l’absence de douleur, de soif, qui s’oppose à un plaisir en mouvement, celui de boire. Pour l’âme, c’est l’ataraxie (absence de troubles) qui s’oppose au plaisir en mouvement, celui de la gaieté et de la joie »[42].

            2.2.2.1.1.2. Désirs naturels et non nécessaires

            Manger est un désir naturel, mais choisir un plat raffiné, un met rare n’est pas nécessaire.  Boire de l’eau relève du désir naturel, mais prendre une boisson rare et coûteuse n’est pas nécessaire. Les désirs naturels non nécessaires ne sont à satisfaire qu’exceptionnellement et ne procure pas un plaisir primitif et conforme à la nature.

            Le désir sexuel          Les désirs esthétiques, sources du plaisir que procure la beauté des arts, sont classés dans la catégorie des désirs naturels et non nécessaires.

2.2.2.2.2. Désirs vains

            Epicure nous prévient que nous devons nous « rendre compte que parmi nos désirs, les uns sont naturels, les autres vains »[43].

            Les désirs vains (kenai) vont au-delà de la « limite inhérente à la nature ; ils comportent l’illimité, et, par-là, s’opposant à la limite, s’opposent à la nature »[44]. A dire vrai, ces désirs font de nous un vide avide, des éternels insatisfaits et leur poursuite est à la source de la douleur et des maux.

            Ces désirs vains : « -la soif de posséder ; la soif  du pouvoir ; la soif des honneurs »[45]. Point n’est besoin de signaler que ces désirs vains visent des objets qu’on ne sait pas atteindre. Vouloir être immortel est un signe de la maladie causée par les désirs vains qui sont des désirs non naturels et non nécessaires.

            De ce qui précède, on saura qu’Epicure nous pousse à tourner notre regard vers l’autarcie.

2.2.2.2. Autarcie

            Epicure pense qu’il est un grand bien celui « de suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons »[46]. Se suffire à soi-même, s’habituer à vivre du peu et s’en contenter exige une ascèse de conduite pour se créer une nouvelle nature. Cela nous renvoie à nous contenter de satisfaire nos désirs naturels et nécessaires, désirs réglés visant l’Aponie et l’Ataraxie.

                        L’autarcie sera pratiquée par la personne qui sait ce qu’est la modération,

            Cependant, il sied de noter que cette vie frugale ira de pair avec certaines vertus comme la prudence, l’honnêteté et la justice.

2.2.2.3. Vertus : Prudence, Honnêteté et Justice

            La vie heureuse, d’après Epicure, est engendrée par « le raisonnement vigilant, celui-ci est digne de rendre l’homme heureux, car il le guidera pour « trouver en toute circonstance les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter et de rejeter les vaines opinions d’où provient le plus grand trouble des âmes »[47]. Et ce raisonnement vigilant est ce qu’Epicure nomme Prudence. Qui veut être heureux se conduira avec prudence qui sera sa conseillère de la vie et qui l’invitera à choisir ce qu’il faut faire parmi les possibilités lui présentées et qui le poussera à réfléchir. Qui veut être heureux fera de l’honnêteté un autre conseiller qui l’incitera « à vivre sans honte et selon un modèle de valeurs »[48]. Qui veut être heureux s’appuiera sur la justice comme son bâton de pèlerin, car elle lui apprendra le respect des lois de son pays. « Vivre avec prudence, honnêteté et justice, cela revient à vivre heureux »[49].

            Qui est capable de vivre ainsi ? Seul le sage.

2.2.2.4. Le SAGE, la Liberté et l’Amitié

            Le sage, chez Epicure, est un homme en chair et en os, celui qui a fait sienne la leçon d’Epicure et qui vit conformément à elle. Et comme résultat : « Il s’est fait sur les dieux des opinions pieuses ; il est constamment sans crainte en face de la mort, il a su comprendre quel est le but de la nature, il s’est rendu compte que ce souverain bien est facile à atteindre et à réaliser dans son intégrité (…) ; il se moque du destin dont certains font le maitre absolu des choses »[50]. Il a conscience de ce qui relève, parmi les événements de la vie, de la nécessité, de la fortune et du vouloir humain. L’homme sera blâmé ou loué par rapport à ce qui relève de son propre vouloir.

            Le sage épicurien s’éloigne de la religiosité astrologique basée sur une supposition erronée selon laquelle les astres seraient de nature divine alors qu’ils ne sont que  « des agrégats de feu »[51].

            Confronté aux nécessités de la vie, le sage épicurien,  nous rassure G. Arrighetti, « sait plutôt donner que prendre »[52].

Vivant-parmi-et-avec-les-hommes, le sage épicurien est un être-avec. Il a aussi besoin de cultiver l’amitié non pas pour avoir un appui politique « car il ne participe pas à la vie politique ; ni de protection complaisante, car il ne commet aucune action contraire aux coutumes et aux lois, ni d’argent, car il se contente de peu pour vivre »[53]. Comme le disait Epicure lui-même, « toute amitié vaut par elle-même d’être choisie »[54].

L’amitié engendre la confiance, l’ouverture, fait accepter les reproches, avoue les fautes et instaure « un dialogue correcteur et formateur »[55], car elle accepte et tolère la liberté de parole. Epicure, selon Plutarque, aurait « déclaré qu’il pouvait accepter les plus grandes souffrances dans l’intérêt de ses amis »[56].

            Le sage épicurien, est « censé être en mesure de quitter la vie à tout instant sans crainte ni tremblement, et même, à la limite, sans émotion. On trouve également chez Plotin et chez les néo-platoniciens de nombreuses allusions à ce type d’attitude, et encore chez Boèce dans La consolation philosophique »[57].

           

CONCLUSION

Je me suis laissé instruire par Epicure à travers sa Lettre à Ménécée  et j’ai compris que cette Lettre m’est une occasion pour inviter les humains à apprendre à vivre et à mourir.

Ses enseignements portant sur la recherche du bonheur et la discrimination des désirs restent actuels et nous en avons besoin, nous qui vivons dans une société de consommation et de faux besoins.

Mais je termine par cette citation :

« Apprendre à mourir, ce n’est peut-être rien d’autre que parler de la mort, y penser, tenter de l’avoir ‘en bouche’, comme le dit Montaigne. Avec ce double écueil : trop d’apprentissage risque de tourner à la complaisance morbide, trop peu d’apprentissage risque de faire le jeu du refoulement dont on sait qu’il est le lit des pires situations. Avec la mort, comme avec  la vie, il n’y a décidément pas de bonne solution. Peut-être seulement des compromis. Cela s’apprend »[58].

 

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

 

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Encyclopédia universalis/Albin Michel, 1998, p. 521-531.

 

« Classification des désirs (epithumai) selon Epicure (d’après M. Conche) », [en

ligne] http://www.psychanalyse.com/pdf (page consultée le 10 septembre 2020).

COMTE-SPONVILLE, A.,  « Les objections d’André Comte-Sponville », dans

L. FERRY, Vaincre les peurs. La philosophie comme amour de la sagesse, Paris, Odile Jacob, 2006, p.127- 132.

DROIT, R.-P., « L’exercice philosophique : « apprentissage de la mort » de

Socrate à Schopenhauer », dans F. LENOIR et J.-P. DE TONNAC (dir), La mort et l’immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances, Paris, Bayard, 2004, p.83-106.

 

EPICURE, Lettre à Ménécée, Traduction d’Octave Hamelin (1910) Edition

électronique (club, PDF) : Les Echos du maquis, 2011. Disponible sur http://philosophie-accreteil.fr.

 

« EPICURE, Lettre à Ménécée » [en ligne] http://lechatsurmonepaule.over-

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FOGLIA, M. (dir), Histoire de la philosophie, Paris, Ellipses, 2013.

 

HADOT, P., Qu’est-ce que la philosophie antique ? Paris, Gallimard, 1995.

 

« Lettre à Ménécée, Explication » [en ligne]

https://lewebpedagogique.com/philo-bac/lectures/lettre-a-menecee-texte/epicure-lettre-a-menecee/ (page consultée le 4 août 2020).

 

VERDUN, O., « Epicure, lettre à Ménécée » [en ligne]

http://studylibfr.com/3126682/epicure-letre-a-menecee-1--quel-est-l-objet-de-la-lettre-%3%Ao (page consultée le 8 août 2020).

 

 

 

 



[1] Cf. M. FOGLIA (dir), Histoire de la philosophie, Paris, Ellipses, 2013, p. 67.

[2] Cf. A. COMTE-SPONVILLE, « Les objections d’André Comte-Sponville », dans L. FERRY, Vaincre les peurs. La philosophie comme amour de la sagesse, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 132.

[3] G. ARRIGHETTI, ., « Epicure », dans Dictionnaire des philosophes, Paris,

Encyclopédia universalis/Albin Michel, 1998, p. 525.

[4] EPICURE, Lettre à Ménécée, §122, Traduction d’Octave Hamelin (1910) Edition électronique (club, PDF) : Les Echos du maquis, 2011. Disponible sur http://philosophie-accreteil.fr.

[5] Ibidem.

[6] Ibidem.

[7] Ibidem. Je souligne.

[8] Ibidem.§ 123 et 135.

[9] P. HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Paris, Gallimard, 1995p. 191.

[10] EPICURE, op. cit., § 123.

[11] Ibidem, § 123. Je souligne.

[12] Ibidem.

[13] Ibidem, § 124. Je souligne.

[14] Ibidem, § 124.

[15] Ibidem. Je souligne.

[16] Ibidem, § 125. Je souligne.

[17] Ibidem, § 124.

[18] « EPICURE, Lettre à Ménécée » [en ligne] http://lechatsurmonepaule.over-blog.fr/article-epicure-lettre-a-menecee-113521.html (page consultée le 05 août 2020).

[19] O. VERDUN, ., « Epicure, lettre à Ménécée » [en ligne]

http://studylibfr.com/3126682/epicure-letre-a-menecee-1--quel-est-l-objet-de-la-lettre-%3%Ao (page consultée le 8 août 2020).

 

[20] EPICURE, op. cit. § 124.

[21] Ibidem, § 125.

[22] Ibidem, § 125.

[23] Ibidem, § 125.

[24] Ibidem, § 125.

[25] Ibidem, § 126.

[26] Ibidem, § 126.

[27] Ibidem, § 133.

[28] Ibidem, § 133.

[29] P. HADOT, op. cit., p. 182 et Cf. EPICURE, op. cit., § 127.

[30] « Lettre à Ménécée, Explication » [en ligne]

https://lewebpedagogique.com/philo-bac/lectures/lettre-a-menecee-texte/epicure-lettre-a-menecee/ (page consultée le 4 août 2020).

 

[31] Ibidem, et Cf. EPICURE, op. cit., § 129.

[32] P. HADOT, op. cit., p. 184.

[33] Cf.  EPICURE, op. cit § 130.

[34] O. VERDUN, art. cit.

[35] EPICURE, op. cit § 127.

[36] Ibidem, § 127.

[37] Ibidem, § 128.

[38] Ibidem, § 127.

[39] IDEM, Sentences vaticanes, § 33, cité par P. HADOT, Op. cit., p. 178-179.

[40] « Lettre à Ménécée, Explication », art. cit. Je  souligne.

[41] EPICURE, op.cit., § 128. Je souligne.

[42] « Lettre à Ménécée, Explication », art. cit. Je  souligne.

[43] EPICURE, op.cit., § 127.

[44] « Classification des désirs (epithumai) selon Epicure (d’après M. Conche) », art. cit.

[45] E. KANT, résumé par Ibidem.

[46] EPICURE, op.cit., § 130.

[47] Ibidem, § 132.

[48]« Lettre à Ménécée, Explication », art. cit.

[49] EPICURE, op.cit., § 133.

[50] Ibidem, § 133.

[51] G. ARRIGHETTI, art. cit.,

 p. 530.

[52] Ibidem, p. 525.

[53] Ibidem, 529..

[54] EPICURE, cité par M. FOLYA, Op. cit., p. 74.

[55] P. HADOT, Op. cit., p. 193.

[56] M. FOLYA, Op. cit., p. 74.

[57] R.-P. DROIT, « L’exercice philosophique : « apprentissage de la mort » de

Socrate à Schopenhauer », dans F. LENOIR et J.-P. DE TONNAC (dir), La mort et l’immortalité. Encyclopédie des savoirs et des croyances, Paris, Bayard, 2004, p., p. 95. Je souligne.

[58] Ibidem., p.106.