Comme les cyniques proposent « une thérapie radicale et une ascèse vertigineuse pour des résultats rapides »[1] , le premier front où il faut déconstruire les illusions est celui du soi (car « umuntu mutwe »). Il s’agira de « combattre toutes les formes de bovarysme »[2]. Ce  dernier est notre défaut qui faut que nous, les hommes, nous n’aimons pas qu’on pointe chez nous notre perpétuel acharnement à nous prendre pour autres que ce que nous sommes. Le Cynisme travaillera donc dans la cruauté en braquant la lumière sur ce qui fait mal, en fouillant et en creusant là où, ‘’pour sa défense, un être échafaude des fictions, fabrique des illusions’’[3]. Ces fictions et illusions font tomber les humains dans l’aliénation du valoir, du savoir et du pouvoir. Voilà qui explique pourquoi en R.D.Congo certains traitent de rêveurs, de moins malins, de ‘’YUMA’’, tous ceux qui ne courent pas après les richesses, les honneurs et les plaisirs (et dire qu’Epicure nous recommande de courir après les plaisirs naturels et nécessaires).


[1] Ib., p. 240
[2] Ib., p. 240. Nous soulignons. Le mot est de J. de Gaulier selon Miche Onfray.
[3] Ib., p.240.
L’HOMME DE DIOGENE LE CYNIQUE OU LE PROFIL DE L’HOMME[1]
 
INTRODUCTION
 
                        Notre Faculté des Lettres et Sciences humaines, encore une fois, nous convie à réfléchir sur un thème interpellant, à savoir Humanisme et civilisations en Afrique. A dire vrai, il s’agit de savoir ce que nous avons fait de notre humanisme légendaire et de nos civilisations en Afrique. Autrement dit, nous sommes traduits devant le tribunal de l’humanisme et civilisations en Afrique pour répondre de notre Sitz im Leben où l’homme est devenu étranger à lui – même pour avoir choisi à être à la « mode » et où l’homme semble être sans histoire et civilisation. De ce qui précède, d’aucuns comprendront qu’il est impérieux de s’arrêter et de s’interroger sur le sens d’être de la Faculté des Lettres et Sciences humaines.
                        Convoqué et traîné devant le Tribunal de l’humanisme et civilisations en Afrique,  nous voulons dire la vérité et rien que la vérité sur le profil de l’homme que cette Faculté est censé re-former pour la promotion de l’homme au sein de la communauté nationale congolaise contemporaine.
                        Ceci étant notre objectif, pour sa meilleure réalisation, nous subdiviserons notre speach en deux moments forts. Le premier nous renverra à Diogène le cynique qui cherchait l’homme en plein jour. Le second et dernier moment, s’appuyant sur certains proverbes africains, proposera un profil de l’homme que la Faculté des Lettres et Sciences humaines est appelée à former.
                        Comme méthode de recherches, nous ferons appel à l’analogie et à l’herméneutique paramiologique.
 
1.      DIOGENE LE CYNIQUE CHERCHAIT L’HOMME
Diogène de Sinope, connu sous le non de Diogène le Cynique (le chien)[2] fut un disciple  d’Antisthène.
Contemporain de Platon (428 env.- env. 347) et d’Aristote (385 env. 322), puisque né vers 413 et mort vers 327, Diogène le Cynique vivait à Athènes au milieu de l’hypocrisie de la société. Aboyant face à cette hypocrisie, il prit la résolution d’attirer l’attention de ses concitoyens- et dire qu’il était étranger à Athènes comme les autres philosophes se rassemblant au Gymnase de Cynorsarges- et ce  par son mode de vie qui ne pouvait pas ne pas faire accourir vers lui des gens. Se promenant en plein jour avec sa lampe allumée, à tout celui qui lui posait la question de savoir pourquoi ce comportement alors qu’il faisait jour, il répondait : ‘’Je recherche l’homme ‘’. Autrement dit, son interlocuteur n’en était pas un. Ayant comme domicile un tonneau, à Alexandre le Grand qui voulait savoir ce qu’il pouvait faire pour lui, du fond de son tonneau, il répondit : ‘’Ôte-toi de mon soleil’’. En d’autres termes, sa présence obscurcissait le jour. Autrement dit,  il n’était pas non plus l’homme qu’il cherchait. A celui qui se moqua de sa pauvreté, il se contenta de faire remarquer : ‘’On voit bien des gens accéder à la tyrannie à cause de leur richesse, mais jamais à force de pauvreté’’. Sachons que pour les Cyniques, la vertu consistait dans le rejet des richesses, des honneurs et des plaisirs. Voilà pourquoi, pour Diogène le Cynique, la philosophie apprend à  se suffire à soi même, consiste à pouvoir être riche sans avoir une seule obole, à être prêt à toute éventualité. Pour lui, la chose la plus belle au monde est la  liberté du langage  et la bête qui mord le plus terriblement est la  calomnie, le flatteur.
Platon, voyant son mode de vie consistant, entre autres, à être en haillons, à manger peu, à injurier et à mordre, l’aurait déclaré « Socrate en délire ». Comme Socrate, il considérait les Athéniens comme une masse des malades et des fous. D’où il devrait prêcher par l’Exemple de « l’autosuffisance acétique du « citoyen du monde », qui satisfait seuls les vrais besoins de l’homme au mépris des servitudes extérieures »[3].
Comme tout cynique, Diogène le Cynique recherchait la fraternité et la solidarité avec les déshérités.
Cette figure, par analogie, peut nous inspirer pour la formation de l’homme à la Faculté des Lettres et Sciences humaines.
 
 
2.      LE PROFIL DE L’HOMME A FORMER A LA FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
Nous savons que l’école cynique a des détracteurs qui voient en l’homme recherché par Diogène l’idée de Platon. Tout en sachant que Diogène ne partageait pas le monde intelligible de Platon, nous ne partageons pas cette interprétation. Nous voulons, au contraire, nous inspirer de Diogène pour faire de notre Faculté un lieu privilégié, lieu de la formation à l’HUMINITAS.
A la suite des Cyniques, notre Faculté doit se donner comme but de former des hommes capables de « dépouiller les hommes de leurs illusions, les conduire sur des cimes éthiques magnifiques (…) par des voies raides, escarpées, exigeantes, qui supposent le renoncement aux obsessions de l’homme du commun – travail, amour, famille, honneurs, richesses, pouvoir, réputation, renommée »[4].  Pour ce faire, elle doit être, à travers ses départements, l’os, car « la force de la cuisse vient de l’os », dit-on. Comme Karl Marx demande dans sa IIIème Thèse sur Feuerbach d’éduquer les éducateurs, notre Faculté commencera par inculquer aux étudiants, à travers ses départements, que « umuntu mutwe = l’homme c’est la tête ». Celle-ci a des oreilles, des yeux, le nez, la bouche, le cerveau, organes dont tout homme a besoin pour s’orienter dans la vie. Le Département des Sciences l’Information et de la Communication sociale utilise plus la bouche, ceux de français et anglais les yeux, celui de philosophe les oreilles et celui de l’histoire le nez. Nous savons que tous ces organes sont utilisés dans tous les Départements, mais chacun d’eux donne le primat à celui – ci qu’à celui – là. C’est discutable, nous le savons, mais notre souci est celui de souligner pourquoi nos ancêtres ont dit que « umuntu mutwe ». Revenons à la IIIèmethèse sur Feuerbach.
Comme il faut des hommes pour dépouiller d’autres hommes de leurs illusions, pour les conduire sur des cimes éthiques magnifiques, on doit veiller à la sélection des étudiants et des enseignants. Si le choix, du côté des étudiants, sera basé sur un plus grand nombre pour plus d’argent, alors on donnera des diplômes à des illettrés universitaires ; si le choix des enseignants (ici nous pensons aux Assistants) surtout se justifie par le tribalisme, l’amitié et non la compétence, alors l’idéal cynique ne sera poursuivi. Voilà pourquoi l’éducation des éducateurs s’avère nécessaire.
La visée cynique étant pragmatique et imminente, car supposant « l’ici et maintenant », notre Faculté doit former des gens capables de s’engager dans le monde, chacun selon ses possibilités et sa science reçue à la Faculté. Pour que cela soit réalisé, à travers la formation et l’information scientifique, on doit travailler « théoriquement à la déconstruction des illusions, d’abord, puis [on doit refuser] pratiquement de se faire le complice du monde »[5]. La déconstruction des illusions suppose la connaissance des mobiles qui ont poussé les étudiants à choisir notre Faculté. Les illusions étant connues, il faut les déconstruire pour construire d’autres mobiles pouvant les conduire à ne pas être complices de ce qui détruit notre RDCongo que nous sommes appelés à rendre plus beau qu’avant dans la paix, l’honnêteté, l’amour, la fraternité. Pour ce faire, on invitera les étudiants de S.I.C à circoncire la bouche afin de dire toujours : « Akanua ka mwemfu takabepa = la bouche ayant la barbe ne dit pas de mensonge ». Comme un grand est censé dire ce dont il est sûr (or la barbe est un des signes de la majorité au sens de Kant et de l’Aufklârung), ayant la science comme la barbe, l’homme du S.I.C ne doit dire que ce dont il est sûr. Toujours cet homme aura à comprendre que « akanwa kamo : ta kamfwe nshama ukulowa = une seule bouche ne peut pas apprécier à 100% si quelque chose est sucré ou bon », car il est bon de consulter d’autres personnes avant de se prononcer sur un sujet et ce en vue d’éviter certains désagréments, car, dit-on, « akanwa katali : kaletelele pwele = un long bec, à force de crier, a fait que l’oiseau pwele soit tué ». De tous ce proverbes, l’homme du S.I.C saura que la circoncision de la bouche exige celle du cœur. Voilà pourquoi, pour tous les étudiants de notre Faculté, la vraie déconstruction des illusions oblige à un travail sur trois fronts : soi, les autres et le monde.
Comme les cyniques proposent « une thérapie radicale et une ascèse vertigineuse pour des résultats rapides »[6] , le premier front où il faut déconstruire les illusions est celui du soi (car « umuntu mutwe »). Il s’agira de « combattre toutes les formes de bovarysme »[7]. Ce  dernier est notre défaut qui faut que nous, les hommes, nous n’aimons pas qu’on pointe chez nous notre perpétuel acharnement à nous prendre pour autres que ce que nous sommes. Le Cynisme travaillera donc dans la cruauté en braquant la lumière sur ce qui fait mal, en fouillant et en creusant là où, ‘’pour sa défense, un être échafaude des fictions, fabrique des illusions’’[8]. Ces fictions et illusions font tomber les humains dans l’aliénation du valoir, du savoir et du pouvoir. Voilà qui explique pourquoi en R.D.Congo certains traitent de rêveurs, de moins malins, de ‘’YUMA’’, tous ceux qui ne courent pas après les richesses, les honneurs et les plaisirs (et dire qu’Epicure nous recommande de courir après les plaisirs naturels et nécessaires).
Pour gagner sur le front de soi, les historiens doivent nous apprendre, grâce à leur nez (car c’est le nez qui indique au chien le chemin et qui lui fait distinguer l’odeur de l’homme, de l’animal et d’une chose), que ‘’pour bien jeter, il faut porter les mains en arrière’’  comme disent les Mossi. Autrement dit, que le passé nous aide à nous tenir débout pour bien affronter notre histoire individuelle et commune. Les philosophies, de leur part, pour gagner sur le front de soi, feront voir les vertus des oreilles, car ils sont censés être les maîtres de l’Ecoute et élèves du dire. En d’autres mots, ils diront : ‘’Amatwi mapuli : yapulapula fye= les oreilles écoutent, un peu partout, le vrai et le faux, le sensé et l’insensé et l’homme doit choisir ce qui est digne de le conduire sur le bon chemin. » Voilà qui explique et légitime les discussions philosophiques. Les hommes de lettres, sur ce front de soi, feront remarquer que « amenso yakula pa kasuba = les yeux grandissent sous le soleil, i.e. comme les yeux ne savent pas regarder le soleil en face, l’homme doit savoir que dans la vie, il est bon d’apprendre à apprendre auprès des autres).
Du triomphe sur le front de soi, il y aura plus de chance de former des hommes avec force de l’âme. Ainsi on saura dire d’eux que « même si la pluie frappe le piment, sa virulence ne diminue pas » (Bakongo) et on fera remarquer que « la crête du coq ne fond pas dans la sauce » (Mali). Toutefois, cette force de l’âme ne perdra pas de force si dans le chef des hommes formés par notre Facultés, il y a de l’autocritique s’exprimant en ces proverbes : « On ne peut marcher en regardant les étoiles quand on a une pierre dans son soulier », « C’est d’abord à l’intérieur de la maison qu’il fait nuit » (Shi), « imiter le chef n’est pas prendre le pouvoir ».
Voilà brosser en quelques lignes l’homme de Diogène le chien, le profil de l’homme à former dans notre Faculté. Rien n’est seulement impossible à celui qui croit, mais nous devons nous souvenir de ce que fut et fit notre Faculté. Elle était prise en exemple pour son corps enseignant et ses étudiants. Pensons à des Mudimbe, des Ngal, des Kinyongo, etc. Pourquoi pas aujourd’hui ? Voilà la foi philosophique qui m’a poussé à prendre Diogène le chien comme guide pour la formation des hommes dont la RDC a besoin.
 
Que dire en conclusion ?
 
CONCLUSION
                        Nous sommes parti, dans notre speach, de Diogène le Cynique comme l’homme qui nous indique le profil de l’homme que notre Faculté a à former. Les Cyniques nous invitent, dans la formation de nos étudiants, à déconstruire les fictions et les illusions avec lesquels nos étudiants viennent. Cependant, nous qui sommes censés être des éducateurs, nous avons aussi à être éduqués, nous rappelle Marx dans sa IIIème Thèse sur Feuerbach. Nous aurons à lutter sur trois fronts, à savoir le soi, les autres et le monde. La victoire du soi sur le soi déterminera celles sur les autres et le monde.
           
                        Sachant que nos ancêtres ont été confrontés au souci de former un homme, nous avons fait appel à certains proverbes dont le principal est umuntu mutwe.
                        Nous conférencier, nous sommes le premier à être interpellés.
 
                        Nous vous remercions.
 
                                                                                 
     


[1] Ce texte a été exposé comme conférence le 16 juin 2004.
[2] Cf. ARISTOTE, Rhétorique, 1411 à 24
[3] Barbara CASSIN, Diogène le Cynique, dans Dictionnaire des philosophes. Préface d’André Compte-Sponville, Paris, Albin Michel/Encyclopaedia , 1998, p. 475.
.
[4] Michel ONFRAY, Faut –il redevenir cynique ? dans Michel  BLAY (dir), Grand dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse/VUEL, 2003, p. 240.
[5] Ib., p. 240
[6] Ib., p. 240
[7] Ib., p. 240. Nous soulignons. Le mot est de J. de Gaulier selon Miche Onfray.
[8] Ib., p.240.