Hubert MONO Ndjana est philosophe camerounais dont son livre mérite l'attention de tout philosophe. Voilà pourquoi je recense son livre. Voici la suite 1.

Eloge du courage philosophique. A propos de "La philosophie négro-africaine. Essai de présentation générale" du Philosophe camerounais Hubert MONO Ndjana

 (Suite 1)

            La première partie de son livre incontournable a pour titre Des renouvellements incertains et s’ouvre sur un chapitre intitulé  Comment penser le temps  ? de M. Daniel Tchapda. Encore une  fois, Tchapda, « le dernier des mohicans » revient sur la scène. Que dis-je ? Il est reconduit devant le tribunal de la raison philosophique. Qu’a-t-il fait ? Vous le saurez bientôt ! Plusieurs griefs lui sont reprochés. Le premier porte sur le projet de son ouvrage, celui « de dénoncer le questionnement trop permanent qui porte sur l’existence ou la non-existence, donc sur la nature et la forme de la philosophie africaine » (p. 27). Bref, nous renseigne Hubert, « Tchapda s’assigne donc comme mission historique de clore définitivement ce débat stérile » (p. 27).

Comme Cicéron, Hubert Mono utilise l’argument ad rem et l’argument ad hominem. L’ouvrage de Tchapda étant écrit sur la base d’un soupçon, Hubert fait voir que les exemples historiques évoqués par Tchapda le contredisent, et ce à son insu. S’agit-il d’une étourderie philosophique ? Il y a de quoi le croire, surtout que Tchapda, au dire d’Hubert, se livre «  à ce qu’il interdit désormais aux autres » (p. 23) et « s’octroie à lui-même le droit du mot de la fin » (p. 23) , celui de prendre « congé de ce débat plus distrayant que combattant » ( Tchapda cité par Hubert, p. 23). Et Tchapda fait croire que ses réflexions sont «  les prolégomènes » de la lutte. Et par une ironie (que je  découvre dans le style d’Hubert), Hubert félicite  « un joli programme » (p. 23). Oui, Hubert s’en moque, car Tchapda est sur les fausses traces de Dumont qui croyait comme lui que les discussions sur l’existence de la philosophie africaine ont fait manquer à l’Afrique noire le train du développement. « Voilà pourquoi elle est mal partie ». Comme pour enfoncer les clous sur « l’étourderie philosophique » (cette expression est mienne), Hubert fera surgir ou mieux mettra à nu ce que d’aucuns appelleraient les « convulsions philosophiques » (l’expression est mienne), et ce en utilisant la moquerie et l’ironie comme style. Il met en dérision « l’affiche géante » annonçant la parution du livre et sa vente dans toutes les « libreries » (sic) en lieu et place de « librairies ». « Avouons, ironise Hubert,  qu’une telle imprécision est aussi embarrassante que repoussante » (p. 23) et le comble de tout est qu’ « on retrouve les mêmes négligences et les mêmes incertitudes d’écriture, presque dans toutes les pages » (p. 23-24). Et si réellement il en est ainsi, alors c’est pathologique ; mais cette pathologie est plus claire dans cette « convulsion » qui s’exprime ainsi : « la raison est une substance », prétendre que la philosophie est une réflexion sur le temps et écrire un livre « qui se développe sur fond d’ignorance des philosophies – même locales – contenues dans ce temps » (p.24). Ce « paradoxe », argumente Hubert, trahit « la vanité du projet affiché avec tant de pédanterie à forte dose » (p. 24). Le mot est lâché et il est accablant : VANITE. Et celle-ci est pathologique quand Tchapda, cité par Hubert, écrit : «  … La philosophie africaine… nous apparaît comme un concept futur, un concept qui ne reflète aucun passé et qui appelle un avenir » (p. 24). (J’entends les paroles d’indignation des gens se trouvant dans la salle d’audience : « Non, Tchapda exagère ! Non, ce n’est pas sérieux ! Non, ça c’est une affirmation gratuite ! Alors Hubert a raison d’être sévère et moins courtois envers lui, car on ne doit jamais cracher sur ses maîtres, africains soient-ils ! Humm. Et dire que cette philosophie africaine a bel et bien un passé assignable ! ». Le juge pour mettre fin à ce brouhaha prend le marteau et frappe : « silence ! Hubert, continuez ! On vous écoute ! »). L’entreprise du « dernier des Mohicans », poursuit Hubert, est « semblable  à celle, tout aussi prétentieuse, de René Descartes » (p. 25), ce philosophe français que d’aucuns qualifient de Père du Rationalisme, et pourtant la palme devrait revenir soit à Pythagore soit à Parménide. Et faisant appel à l’autorité critique et éclairée de Jean-François Revel qualifiant Descartes d’inutile et d’incertain, Hubert traite le livre de Tchapda d’ « obsolète, inutile, dangereux » (p. 23). Comme si cela ne suffisait pas, Hubert reproche à Tchapda son « ingratitude intellectuelle vis-à-vis des prédécesseurs à qui l’on doit beaucoup » (p. 32) et pour l’ « assommer » - scientifiquement sans doute -, Hubert se plaît à relever quelques erreurs tenant à la connaissance même de la philosophie : Tchapda ne connaît rien de la Dialectique ; voilà pourquoi il ose affirmer que « le mouvement de l’histoire est inexorablement prospectif et irréversible » (Tchapda cité p. 33) et pourtant Héraclite, Platon et tant d’autres ont déjà parlé de la dialectique, mais pas comme l’entend Tchapda. A dire vrai, la connaissance de l’histoire de la philosophie occidentale et africaine est indispensable pour éviter certaines hérésies philosophiques ; une autre « erreur monumentale » (p. 33), dixit Hubert, se fait voir quand Tchapda se prononce au sujet de l’authenticité philosophique. Il fait de la « géographie  des problèmes un critère de détermination philosophique » (p. 33). Qu’est-ce à dire ? Pour Tchapda, « une philosophie européenne authentique » est celle qui « prend en charge les problèmes historiques ou théoriques de l’Europe » (p. 33). Et puisqu’il en est ainsi, pense Tchapda, « cela vaut aussi pour la philosophie africaine qui se veut authentique ». A ce niveau, le débat devient très sérieux, au sens de grave, car je suis invité à me prononcer là-dessus. Qui est philosophe africain authentique ? Si Laburthe-Tolra, philosophe/anthropologue français, écrit il sur les Beti du Centre-Cameroun, est-il pour cela philosophe africain ? Que dire de Njoh-Mouelle, installé dans la métaphysique bergsonienne ? Est-il philosophe français ? Que penser de Guillaume Amo imbu de la philosophie de l’Europe du XVIIIème siècle ? Est-il pour cela philosophe européen ? Pour Hubert Mono, et en cela je le rejoins, Laburthe-Tolra reste philosophe français écrivant sur les Beti, Njoh-Mouelle comme Antoine Guillaume Amo demeurent des philosophes africains parlant de la philosophie européenne. Oui, c’est l’identité, osé-je penser, qui détermine et non le sujet abordé. A cet instant j’entends la voix du Reggaeman Peter Tosh qui interpelle : « partout où tu seras (même en philosophie), aussi longtemps que tu es un homme noir tu restes un africain quand bien même tu aurais changé de nationalité ». De ce fait, je prends au sérieux les français qui disent : Tel est un français d’origine africaine. Que dire du métis ? A lui de nous dire qui il est et qui l’adopte. Dans quelle peau se sent-il ? En écriture, qui est-il ? Au moins lui a les choix. J’en parle bien dans mon livre Philosophie pour tous. Introduction à la philosophie occidentale et à la philosophie africaine, Paris, Edilivre, 2017. Bref, Hubert a raison « on ne peut pas valablement faire de la géographie des problèmes un critère de détermination philosophique » (p. 33). Pour éviter de poser un « geste anti-philosophique » que Hubert reproche à Tchapda, je me garde de clore le débat sur ce sujet, « puisque, comme le fait remarquer avec justesse Hubert, en ce domaine [philosophique] précisément, les débats ne sont jamais définitivement clos » (p. 34).

            Comme pour mettre la terre sur la tombe de Tchapda, Hubert pourfend le titre et le sous-titre du livre de Tchapda. Il lles traite « des titres déroutants » (p. 34) et il tranche : « Un livre dont le titre ouvre sur un ailleurs complètement différent et sans parenté avec lui-même est un anti-livre. C’est malheureusement ce qu’il faut retenir du Comment penser le temps ? de M. Tchapda, dont le sous-titre, aussi insensé que prétendument savant, est « Prolégomènes aux questions actuelles » (p. 34). Hubert justifie sa critique :  « En fait, le temps ne se trouve évoqué que très rapidement, furtivement, allusivement » (p. 34). Si tout est là, sauf la pensée du temps « et encore moins la méthode de penser ce temps, comme le titre le faisait espérer » (p. 35), alors comprenez pourquoi ce livre est qualifié d’anti-livre, et de ce fait même il est une « forme d’escroquerie, ou de contrebande à travers un emballage attrayant » (p. 35). Sa vitrine ou le sous-titre Prolégomènes aux questions actuelles qui nous fait penser aux Prolégomènes à toute métaphysique future de Kant, ne jette pas les bases ou ne pose pas les fondations sur lesquelles se bâtiront les questions actuelles. D’où, conclut Hubert, il y a « le caractère incongru de cette association entre « prolégomènes » et « questions » » (p. 35).

            Et Hubert conclut sa plaidoirie en tant que Gardien du Temple de la philosophie africaine : Daniel Tchapda, pour avoir voulu « prouver l’inexistence de la philosophie africaine dont il serait peut-être, lui-même, la seule manifestation tangible » (p. 35),  est un « avatar inconscient du négativisme anti-africain qui caractérisait l’anthropolagie du début du siècle dernier » (p. 35). ( Applaudissement dans la salle d’audience.)

            Quelle est l’origine de cette pathologie et de différentes convulsions philosophiques portant sur l’orthographe et le contenu ? C’est l’AMNESIE. A ce propos, pour faire revenir la mémoire perdue ou trouble de Tchapda, Hubert lui rappelle son livre de 1981, celui d’Ebénezer Njoh-Mouelle (un des Pères de la foi philosophique) de 1983, de Philippe Laburthe-Tolra de 1981, l’article/ l’interview de Claude Summer de 1983. Tchapda a-t-il retrouvé la mémoire pour répondre à Hubert ? Silence. En cette audience de janvier 2016, mois et année de la publication du livre d’Hubert, Tchapda n’a rien dit. Ses avocats ont sollicité une seconde audience, le temps pour affûter leurs armes.

            Puisqu’il s’agit des renouvellements incertains, Hubert accuse un autre « imposteur » : Maurice Kamto pour avoir publié l’Urgence de la pensée qui proclame « l’inexistence de la pensée » (p. 27) et qui sombre dans le totalitarisme intellectuel préparant « le goulag de l’esprit » et qui constitue un danger, celui « de faire croire à la jeunesse africaine qu’elle n’est précédée d’aucune tradition de pensée, et que c’est adossée à ce néant qu’elle doit se précipiter pour combler le vide » (p. 27). Bref, l’urgence de la pensée ne relève pas de la course de vitesse, ne part pas d’un « starting block ». Et  Hubert sonne l’alarme en indiquant que « les manifestations de l’urgence de la pensée ne peuvent que produire des naïvetés philosophiques du genre « bontologie » (science de la bonté !), ou d’autres petits scandales sémantiques similaires dont raffolent les jeunes diplômés camerounais sans expériences philosophique » (p. 27-29). Ce danger est partout quand les jeunes diplômés rencontrent sur leur chemin des « charlatans » et des « vendeurs » des tomates pourries philosophiques ayant des étiquettes de « bontologie »  et que sais-je encore ! Oui, le sensationnel sans sens caresse les émotions des néophytes.

            L’Urgence de la pensée de Maurice, au dire d’Hubert, « pèche par un certain dérapage de méthode » (p. 28), véhicule «  l’erreur métonymique » (p. 26), car « la partie ici se prend pour le tout » (p. 29), pratique « la pétition de principe » (p. 29) et elle est une épiphanie de la subjectivité partisane rentrée par la fenêtre «  pour capturer le penseur lui-même, à son insu, … » (p. 29). Et pourtant, enseigne Hubert, « dans la réalité et de façon générale, la pensée démarre lentement, méthodiquement (…), majestueusement et sans précipitation » (p. 28)

Comme pour Tchapda, Hubert attrape Maurice la main dans le sac : tous les deux parlent du sujet sans en avoir fait l’état de la question ou sans avoir fait « le point sur la question qu’[ils veulent] traiter » (p.30). Et par ironie, Hubert tremble : Timeo hominem unius libris » (p. 31), car cet homme d’un seul livre fait des contre-vérités monumentales « tant au plan idéologique qu’au point de vue scientifique »  (p. 31) s’il erre hors de son livre et Hubert, comme par indignation, convie les deux « coupables » à avoir « un peu plus de respect » (p. 31) quand ils parlent du pays de Marcien Towa, de Njoh-Mouelle et d’Eboussi Boulaga, et de l’Afrique de Nkwameh Nkrumah, de la patrie de Plotin, de Saint-Augustin et d’Antoine Guillaume Amo.

De ce qui précède, on comprendra pourquoi Hubert, le Gardien du Temple de la philosophie africaine barre la route à  toute personne ayant « la sotte prétention de disqualifier la question de la théorie d’une philosophie africaine comme question « scélérate », « spéculation oiseuse », « pseudo-problème » (p. 31). Ceci étant, soutient Hubert, « il faut considérer positivement l’ethnophilosophie comme une théorie de combat historiquement justifiée, un moment théorique qui a balisé le terrain pour l’avènement et l’autopositionnement de la philosophie africaine » (p. 32). Ici j’entends la voix de celui que j’appelle Paulin Hountondji II, l’auteur de Effet Tempels. Oui, l’humilité scientifique contraint tout phiilosophe authentique à rebrousser chemin selon E. Kant et à débusquer ses erreurs selon Karl Popper.

Une troisième personne sera accusée par Hubert  de « fanfaronnade philosophique » (p. 37). Ainsi, on appela Tana Ahanda à entrer dans la salle. Tana Ahanda a mis « les pieds dans le plat en décrétant l’indigence et l’inexistence de la philosophie en Afrique » (p. 37). Comme Tchapda et Kamto, il a commis le même sacrilège dans le  Temple de la philosophie africaine : « mettre le pied dans le  plat ». C’est grave ! (Suite 2).