Ce texte est une conférence tenue en date du 2 mars 2007 et a été publié dans les ANNALES DU CENTRE UNIVERSITAIRE DE KASUMBALESA, Numéro spécial Vol I No 1 (2007), p.6-19

 

An.cuksa vol. I N°1(2007), p. 6-19

 

                                  QUELLE ETHIQUE DU TRAVAIL

A L’ERE DE LA MONDIALISATION ?

par Abbé MPALA Mbabula[1]

 

 

 

Résumé : L’Auteur relève que la mondialisation actuelle appelle une réflexion et un plaidoyer pour une nouvelle éthique du travail : l’« éthique humano-écologique » qui tienne en compte la complexité de l’homme et de la nature. Si l’avènement de cette éthique est subordonné au changement du regard vers l’homme en tant qu’être-pour-le-travail, l’auteur espère cependant qu’elle est adaptée à notre époque préparée surtout par les exploits de la science moderne.

 

Introduction

 

Le monde est en mutation, et d’aucuns parlent de l’ère de la mondialisation. Cependant il y a des critères d’après lesquels nous affirmons que le monde est entré dans l’époque de la mondialisation néolibérale. « Dans l’immense majorité des cas, il semble que le critère déterminant soit celui des transformations économiques »[2]. Celles-ci ont mis en déroute le système mondial ancien pour en créer un autre qui se présente, dans ses grandes lignes, de la manière suivante[3] : le système mis en vigueur après la seconde guerre mondiale est remplacé par un modèle à pôle unique ; il y a omniprésence et domination du capitalisme néolibéral ; on constate une mobilité croissante et un renforcement de l’emprise des entreprises transnationales, et ce, à travers des stratégies d’ajustement au niveau national, régional et international ; il y a, par ailleurs, prédominance du capital financier qui est de plus en plus mobile, décentré et transnational, et ce, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC en sigle) et aux changements intervenus en faveur du libre échange . Riccardo Petrella a soutenu, à sa façon, cette idée quand il écrivait que « (…) la mondialisation actuelle de l’économie, des marchés, des entreprises, des capitaux serait en train, de pair avec la « révolution technologique » liée, notamment, aux nouvelles technologies d’information et de communication, d’enterrer le XXe siècle et d’enfanter le troisième millénaire »[4].

En outre, on assiste à l’expansion générale de la production des entreprises transnationales et une grande partie du commerce international se fait au travers des firmes -multinationales ; l’on vit une mainmise des Etats-Unis (parfois contestée) sur les importantes institutions à vocation supranationales (ONU, BM, FMI, OMC) ; on constate visiblement l’échec à programmer et à mettre sur pied (que ce soit au niveau national, régional et international ) de nouvelles formes de souveraineté, d’organisation sociale et politique, etc.

A dire vrai, un « tournant de civilisation » (l’expression est d’Etienne Balibar) s’est opéré. Il a été provoqué par plusieurs éléments dont deux retiennent notre attention. « Le premier (…) est économique : c’est l’apparition des firmes multinationales dont la capacité financière excède celle de la plupart des Etats et qui acquièrent ainsi la possibilité de délocaliser et transporter leurs activités vers n’importe quelle région où les facteurs de production sont disponibles à des prix avantageux, avec pour contrepartie la constitution d’un seul système d’échange des capitaux et des monnaies, opérant « en temps réel » et reliant entre elles toutes les places financières du monde(…). Le second événement sans lequel (…) il n’y aurait pu être question de « mondialisation » (…), est l’effondrement du système socialiste soviétique, entraînant la fin de la « division  du monde » en « camps antagonistes »[5].

On peut retenir trois critères pour parler de l’entrée dans l’époque historique de la mondialisation néolibérale, à savoir les critères économique, technologique (NTIC) et politique.

Nous trouvant dans une nouvelle ère, il est légitime de réfléchir sur la nouvelle éthique propre à cette situation épocale.

Dans le cadre de notre article, nous définirons, dans un premier temps, les concepts clés, à savoir Ethique, Travail et Mondialisation. Dans un second temps, nous nous appesantirons sur la mentalité  de la Postmodernité et la transformation du sens du travail. Enfin, nous proposerons une nouvelle éthique du travail.

 

 

 

 

 

1. Définition de l’appareil conceptuel

1.1. Ethique

 

Etymologiquement, Morale, du latin mos, et Ethique, du grec ethos, signifient mœurs, coutumes, etc. Ainsi, est-il difficile de distinguer les deux[6]. Cependant, à notre humble avis, nous pensons que Morale est plus obligatoire par rapport à Ethique qui est plus situationnelle et donc souple.

Nous définirons  l’éthique, en nous inspirant de Foulquié et de Saint-Jean[7], comme cette réflexion cherchant à déterminer le sens de la vie humaine  dans une situation ou un contexte donné. En outre, cette réflexion porte aussi sur les moyens à proposer afin d’atteindre le but. Comme on peut le deviner, il nous faut une éthique de l’ère de la mondialisation, une éthique qui tiendra compte des transformations multisectorielles provoquées par la mondialisation.

 

1.2. Travail[8]

Malgré l’évolution du sens du travail au cours des siècles, le concept  travail est une  catégorie anthropologique.  C’est à cause de l’exploitation que le travail est devenu une catégorie économique. Catégorie anthropologique, le travail est  propre à l’être humain. Seul l’homme travaille. Si ce concept est utilisé pour d’autres êtres comme les animaux et le bois, etc., cela relève de l’analogie.

A la suite de Karl Marx s’appropriant l’idée de Hegel, nous disons que le travail est « l’acte d’engendrement de l’homme par lui-même »[9]. Autrement dit, le travail est « l’activité par laquelle et dans laquelle l’homme en tant qu’homme, par son essence, et cela de telle manière que son devenir et son être existent  pour lui, (…) se sait et se « considère » lui-même pour ce qu’il est (le devenir-pour-soi de l’homme) »[10]. Catégorie anthropologique, le travail est l’essence de l’homme. C’est par le travail que l’homme est différent de l’animal. Le travail est la manifestation de la personnalité de l’homme, l’objectivation de sa personnalité. Le travail est, en effet, le lieu spécifique où l’homme s’affirmer, où il déploie une activité physique et intellectuelle. Se distinguant de l’animal ou de tout être, par le travail, l’homme fait de son activité vitale elle-même l’objet  de sa volonté et de sa conscience (…). L’activité vitale consciente distingue directement  l’homme de l’activité vitale de l’animal »[11], précise  Marx. En d’autres termes, et ce dans le sens plein du terme travail, l’homme ne produit pas d’une façon unilatérale. Son activité  vitale est libre. Il ne travaille pas « sous l’empire du besoin physique immédiat »[12]. Même libéré du besoin physique, l’homme travaille.

Karl Marx affirme, et ce avec raison, que l’homme s’est arraché de son animalité première par le travail[13]. Cependant, il sied de faire remarquer que la mondialisation a transformé le sens du travail pour en faire une « marchandise ».

 

 1.3. Essai de définition de la mondialisation  néolibérale[14]

 

Du nouvel ordre mondial  évoqué dans l’introduction, la  mondialisation  néolibérale ne peut être appréhendée que si elle est considérée comme « l’accroissement  massif de l’interdépendance »[15]. En  effet, et ce grâce à  l’idéologie néolibérale, la mondialisation  néolibérale se caractérise  par plusieurs  interdépendances  dont  quatre  sont les  plus importantes  ou fondamentales.

Nous  trouvant  devant la suprématie  du Marché, la  première  interdépendance de la  mondialisation  néolibérale est relative à la production.  Cette interdépendance par les marchés   relative  à la production  se traduit par  la disparition des frontières  géographiques   et par  l’abaissement  des barrières  tarifaires et non  tarifaires.  Mues par la logique  de la  recherche  d’un profit  maximal, les firmes transnationales (FTN) font  la délocalisation  de leurs  activités  industrielles  consistant en une  séparation  des lieux  de production  ou de transformation de  certaines  marchandises  de leurs  lieux de consommation. La délocalisation  entraîne  une  décomposition  internationale des processus  productifs.  « Chacun  des  segments  est localisé dans  des  espaces différents, pour  des raisons  liées  aux  coûts  de production,  aux  dimensions  du marché, à des  risques  ou à  des réglementations »[16].  Cette situation fera que certains travailleurs deviennent « nomades », car ils sont appelés à aller travailler partout et d’autres perdent leur emploi. Il y a la précarité du travail.

La deuxième interdépendance est relative  aux échanges  et au  commerce.  Cette interdépendance, en  connexion  avec  la première, se caractérise,  comme  la première, par une décomposition internationale des processus  productifs. Celle-ci « s’appuie  sur  un réseau de filiales ou de  sous-traitants  de filiales et  le  nomadisme de segments  entiers  des appareils  de production selon la logique des avantages  comparatifs »[17].

En outre, par   les  voyages  et les  médias, s’installe une  croissance  exponentielle  des  échanges  d’idées, des  produits  et d’information.  Cela  entraîne  une  intégration mondiale   facilitée  par  des changements  de  politiques    visant  à promouvoir  l’efficience économique, et ce  par l’instauration  de la libéralisation et la  déréglementation des  marchés  nationaux, par le  désengagement  de l’Etat de nombreuses  activités économiques, par  la restructuration de l’Etat providence  et  surtout par les innovations  dans  la technologie  de l’information et de la  communication. Ainsi, il y aura une  nouvelle catégorie de travailleurs qui apparaîtra, au grand dam des travailleurs traditionnels, travailleurs dépassés par les nouvelles innovations.

La troisième  interdépendance  de la mondialisation  néolibérale a trait  aux marchés  financiers.  Elle procède « d’une  interconnexion  des  places  financières  mondiales  fonctionnant  vingt-quatre  heures  sur  vingt-quatre grâce à la  conjugaison  de trois  éléments  que sont  la déréglementation, le décloisonnement  des marchés et la désintermédiation »[18].   C’est ici que  l’on parle de 3D.  La déréglementation  abolit  les réglementations du marché de  change  et, ainsi,  facilite-t-elle  la circulation  du capital.  Le  décloisonnement  supprime  certains  compartiments  des  marchés  et la  désintermédiation  permet  aux  entreprises  et aux  Etats de ne plus  passer  par les  intermédiaires  financiers  et bancaires  quand  il leur  faut  effectuer  des opérations  de placement  et d’emprunt  aux  marchés  financiers  afin de  satisfaire  leur  besoin de financement.  Y. Crozet et ses collaborateurs  font  remarquer  que la  globalisation  financière  a un  élan irrésistible  suite  à cinq  éléments : « La marchéisation des  financements, la désintégration, le décloisonnement et la  déréglementation  financière, la gestion de la  dette publique, le  caractère  spéculatif des placements et le  réinvestissement  des profits  des filiales des  FMN [firmes multinationales] »[19].

Insistons  sur un  fait propre  à cette  globalisation  financière : son  caractère  spéculatif des placements. « Les  entreprises, lorsque leur  situation  financière  le leur permet, préfèrent (…) les placements  financiers, plus  rémunérateurs  que  l’investissement  productif qui pâtit  d’une  double  incertitude : la  faible progression  de la  demande  dans  un contexte  où les  ménages  et les  Etats  consacrent une part  croissante  de leurs  revenus  au  règlement  des  intérêts de leurs  dettes, [et] l’ajournement des profits escomptés et leur  faible  ampleur face à des placements  financiers  immédiatement rémunérateurs »[20].

Retenons, par ailleurs, que  dans  la globalisation financière, il y a des opérations  financières  et des transactions  papiers  qui  prennent  une grande  ampleur  par rapport  aux opérations  physiques.  Voilà qui  modifie  les rapports  sociaux de production.

La quatrième interdépendance de la  mondialisation néolibérale  est relative  aux  technologies de l’information  et de la  communication.  Cette  interdépendance par les  nouvelles  technologies  de l’information et de la communication  favorise, avec les transferts,  la mobilité et la  flexibilité des  capitaux, des  biens, des  services et des personnes .  En effet, les NTIC déclenchent « une  explosion  des  activités économiques, recomposent  les territoires  industriels  et  de la planète.   Ce sont  elles  qui font  précisément   du monde  un village  planétaire.  Des  milliers  de kilomètres  de  fibre  optique  se croisent  en permanence  et relient  des  continents.  Et  24  heures  sur 24, des  contrats, des  transactions, des  informations  de toutes sortes  traversent les fuseaux horaires, les  frontières  et les  cultures.  Les nouvelles  routes  commerciales sont  des éclats  de laser  et des  rayons  de  satellites.  Les  marchandises   transportées  sont  le savoir  et  la technologie[21].

Il va  sans  dire  que  nous  vivons  dans  une époque où il y a un essor  inéluctable  des  services  au détriment de l’industrie, où la modification  des notions  d’espace  et de temps  est  évidente, car « les moyens modernes  de communication ont supprimé  les  distances, qu’il  s’agisse de se déplacer ou de  communiquer »[22] .

Cette mondialisation  néolibérale, donc économique et financière, transformera, sur  son  passage,  le rôle  des Etats, le social et le  culturel [23]. Tout ceci joue sur la conception du travail.

Pour  devenir réellement un phénomène global, la  mondialisation  néolibérale a ses  propres acteurs[24].   Parmi ses grands  acteurs, nous  retiendrons  les Etats, les FTN  et les Institutions  internationales (FMI, BM, OMC).  Tous ces  acteurs sont  des éléments  de la  propagation  de la  mondialisation néolibérale « dans  la  mesure où  intervenant  sur  une partie  du monde  ou dans  le monde  entier, [ils] dialoguent avec  les Etats, les  combattent parfois, agissent  sur les  opinions publiques, et par  leurs  interventions contribuent à l’échange généralisé, qui est  l’essence  de la mondialisation »[25].

Nous pouvons, à présent, nous résumer en disant  avec Mbaya  Kankwende que « le phénomène de la mondialisation [néolibérale] recouvre  à la fois  une  réalité à savoir  la globalisation de la  production et des  échanges  économiques et non  économiques, mais  aussi  une idéologie  et un  projet  normatif à réaliser.  En  tant que  réalité, il  désigne  le processus d’élargissement et d’intensification des flux  marchands, financiers et d’informations à l’intérieur d’un  marché de plus  en plus mondial,  unique et intégré.   En  tant qu’idéologie,  il prescrit la plus  grande  libéralisation  possible des marchés  nationaux et  mondiaux  avec  le postulat que  la libre  circulation  des biens  et services, des  capitaux  et de  l’information produira  un  résultat optimal  en  terme de croissance économique  et de bien-être  humain»[26]. 

L’on remarquera  que,  pour nous, les  concepts mondialisation et  globalisation  ont la même  teneur  et que  nous  nous sommes  accroché à la  mondialisation  néolibérale.


 

2. Mentalité de la postmodernité et transformation du sens du travail

2.1. Postmodernité versus modernité sur le sens du travail

 

Le Postmodernité est à la fois une époque et une culture de la mondialisation[27].

Opposée à la Modernité dont une des caractéristiques est l’identité (on est de telle sexe, de tel travail, de telle famille, de telle patrie, etc.) liée à la stabilité, la Postmodernité se moque des slogans « Travail, famille, patrie » et une autre culture pousse grâce ou à cause de la consommation de masse qui prend une place démesurée. A dire vrai, nous assistons à la modification des mentalités dans le sens d’une idéologie de la consommation bien véhiculées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). De ce fait, « la Postmodernité vise globalement la promotion du plaisir et qu’elle ne peut plus se reconnaître dans une justification du travail de l’ordre d’une obligation sociale, de l’effort et du sacrifice »[28]. Ceci se justifie en ce sens que nous vivons dans une société de consommation de masse dont les normes de bonheur individualiste jouent un rôle essentiel. Autrement dit, « l’évangile du travail a été détrôné par la valorisation du bien-être, des loisirs et du temps libre. Ce sont les valeurs hédonistes qui mesurent toutes les autres valeurs »[29].

La mentalité postmoderniste s’oppose à la mentalité moderniste. Cette dernière faisait du travail un devoir, une valeur en soi, une fin en soi. Ainsi, le travail était-il un moyen (travailler pour vivre) et une finalité (vivre pour travailler). Ceci étant, l’on ne peut jamais s’étonner que l’on devait juste effectuer son travail, peu importe en quoi il consistait et dans cette mentalité la souffrance était même assez noble. Le travail, dans la modernité, faisait partie de l’identité de l’individu (« Je suis tel parce que je travaille à tel endroit ») et de sa stabilité. De ce fait, le nomadisme n’était pas provoqué par le travail.

Avec la mentalité postmoderne renforcée par la culture de la publicité et de la consommation, le sens du travail a changé et cela entraîne le changement de la conception de la vie.

Voilà pourquoi la vraie vie est à chercher ailleurs  et ce après le travail. Elle est dans le loisir, les plaisirs quotidiens. Ou mieux elle se situe dans la consommation lorsqu’on est affalé sur le canapé devant la télévision. Cela pousse le travailleur de la postmodernité à multiplier les pont[30]s, à ménager des horaires flexibles (afin d’être partout à la fois, le temps[31] du travail. Tout cela est fait en vue de gagner de la vie en temps libre.

De ce qui précède, nous dirons avec S. Carfantan que « l’hédonisme postmoderne dit qu’on ne profitera de la vie qu’en dehors du travail »[32]. Et si on travaille, c’est tout juste pour gagner de l’argent afin de tout avoir et ce pour profiter de la vie. L’incantation de la publicité est là pour exciter cette passion de l’argent et pour harceler le consommateur.

 

2.2. Condition pour une nouvelle éthique

 

Pour proposer une nouvelle éthique du travail à l’ère de la mondialisation, une condition s’impose : changer notre attitude à l’égard du travail lui-même. Ce dernier doit être considéré comme quelque chose très intéressant, grâce auquel on peut se réaliser et créer quelque chose qui a une valeur sociale. Ainsi, le travail sera-t-il exécuté avec passion et avec plaisir, vue comme un jeu, considéré comme un lieu de rapports sociaux d’échange, de partage et d’humanisation.

Cette condition proposée nous invite à rejeter les anciens préjugés du travail et à avoir une nouvelle vision du travail.

 Voici le tableau résumant l’idée de changement d’attitude à l’égard du travail.

 

Anciens préjugés sur le travail

Nouvelle vision du travail

Les enfants jouent, les adultes travaillent, le travail est ce qui fait de vous un adulte. La vie n'est pas un jeu.

Seule une conscience lucide nous rend adulte, ce n’est pas une question de travail ou de jeu. Le travail est une activité productrice, le jeu une activité libre. On peut aussi travailler en se jouant : librement.

Le travail est chose que l’on doit chercher hors de soi dans le monde, qui nécessite une lutte constante, la lutte pour la vie.

Le travail est une chose que l’on devrait chercher d’abord en soi-même, qui devrait être un déploiement d’énergie et de créativité et non une lutte.

Le travail, c’est le sérieux, c’est ce qui fait vivre la famille, le reste n'est pas important.

Le travail peut être fait avec sérieux, comme toute activité et il doit aussi contribuer à la satisfaction des besoins.

le travail se fait seulement loin de chez soi, à l’usine, au bureau, au magasin. A la maison, c’est seulement le loisir pour compenser le travail

On peut aussi travailler chez soi, il n’y a pas de coupure lieu du travail/maison, c’est une question de conscience professionnelle que l’on peut investir n’importe où. (cf. télétravail?)

La mère travaille à la maison, mais ce n’est pas un travail.

La mère au foyer travaille autant que le père au bureau et on lui doit une reconnaissance entière du labeur qu’elle fournit. Le travail ne se mesure pas seulement à un salaire.

Le travail est une chose que l’on n’est pas censé aimer, mais qu'il faut supporter.

On ne devrait aimer ce que l’on fait où faire autre chose. On ne fait bien que ce que l’on aime faire. Cependant, il est vrai que dans la  nécessité les hommes sont parfois conduits à exercer un travail qu'ils n'aiment pas.

les gens qui ne travaillent pas sont, soit très riches ou soit très pauvres.

Dilemme simpliste. L'aisance n'implique pas nécessairement l'oisiveté. L'absence de travail n’a rien d’anormal, elle devrait être une possibilité admise, même s'il est vrai que l'homme s'accomplit davantage dans le travail qu'en dehors.

Les pauvres qui ne veulent pas travailler sont des paresseux méprisables.

La pauvreté n’est pas toujours rattrapée par le travail, l’absence de travail n’enlève pas la dignité que l’on doit à l’être humain.

Perdre son travail est la plus grande honte qui puisse nous arriver, car il faut demander la charité et les gens vous considèrent comme un parasite.

Perdre son travail ne constitue pas une honte, mais un nouveau défi à relever. Changer de travail est normal dans le monde actuel. Il faut rejeter ce préjugé social qui nous porte à mépriser l'homme sans travail.

 Source : S. Carfantan.

 

         Ce tableau met l’accent sur l'importance d'un changement de conscience à l’égard du travail.

 

3. Nouvelle éthique du travail à l’ère de la mondialisation

 

Notre nouvelle éthique du travail se base sur certains principes que nous formulons en ces termes :

Le principe d’inclusion ;

La fraternité : « Nous sommes tous fils de la terre et nous avons un même destin de perdition ou de vie » ;

L’homme et la nature sont la mesure de toute action ;

Reconnaissance de l’autre : avoir le souci de rendre l’autre heureux afin de l’être soi-même ;

Equité entre les personnes engagées dans le travail, car l’une a toujours besoin de l’autre.

         Ces quelques principes sont énoncés à partir d’une certaine anthropologie philosophique où l’homme et la nature sont qu centre.

        

De Woot et Delcourt nous apprennent que « l’éthique [est une] inquiétude (…). L’inquiétude devrait être au cœur ce que le doute est à l’intelligence »[33]. Inquiétude, cette éthique doit lever ses défis pour que tous les travailleurs du monde se sentent réellement frères et sœurs et membres d’une même communauté ou habitants d’un même village planétaire. C’est la seule condition pour affirmer la dignité de la personne humaine, la solidarité des travailleurs et la sauvegarde de la nature.

         Nous prônons une éthique où l’homme et la nature sont au centre et  pris comme les valeurs des valeurs et devant eux un impératif moral s’impose toutes les fois que l’on doit poser des actes, il faut  se demander si l’acte réalisé pour servir l’homme et pour sauvegarder la nature. Cette façon d’agir est, pour nous, comme l’aiguille de la boussole.

         Cela étant, le défi  humanitaire que cette éthique doit lever consistera à sortir de la logique qui réduit l’homme à «  la dimension d’un patrimoine à faire fructifier : moins que l’individu, simple atome de société cher à l’économie libérale ; et encore moins que la personne porteuse de valeurs –aspiration à plus de justice et de solidarité – qui donne sens à sa vie. Les valeurs qui conduisent à modérer les appétits, sont une entrave pour l’économie de cupidité »[34]. L’homme n’est pas à réduire à une dimension marchande. De ce fait, l’homme, comme valeur,  interdit de faire la poursuite du gain une valeur socioculturelle suprême. En d’autres termes, l’homme ne pèse pas la somme de son argent, ou mieux l’argent n’est pas la mesure de l’homme. C’est le contraire qu’il faut affirmer.

 Valeur suprême, l’homme travailleur voudrait découvrir dans la technologie un instrument de la réalisation de la proximité humaine et non une occasion de rupture humaine. C’est dans cet ordre d’idées que la machine relevant l’homme doit être à la source de son bonheur et non une occasion d’un chômage et d’exclusion sociale.

Ainsi, notre éthique interdit-elle de faire de l’homme ou de la personne une « ressource humaine ». Cette expression est en vogue et il est rare que les intellectuels la remettent en question. Si l’homme devient une « ressource humaine » dans ce monde néolibéral, alors son existence est « fonction du degré d’utilité (employabilité et rendement) pour le capital. Tant qu’une « ressource humaine » est utile à la production de richesses, elle aura droit à un revenu et à une responsabilité sociale. Ces « droits » lui sont enlevés dès qu’elle devient moins rentable (ne fût-ce que par rapport à une « ressource humaine » d’un autre pays ». Devenu ressource humaine, l’homme n’est plus « un sujet social ayant des droits, des envies, des besoins. [Il] n’est plus qu’un coût pour l’entreprise à comparer aux autres ressources de l’entreprise selon les critères d’efficacité et de performance (en termes de rentabilité, de profit) fixés et évalués par ceux qui ont le pouvoir de direction et de contrôle de l’activité de production ».  Riccardo Petrella attire notre attention sur cette expression consacrée dans le monde néolibéral et contre ce défi, il propose une solution comportant, entre autres, « une redéfinition générale des finalités et des principes d’organisation du système d’éducation et de formation. Elle implique une réappropriation du statut de personne en opposition à la réification de l’humain et du social opérée par nos sociétés « développées » à travers la technologisation et  la marchandisation de la condition humaine ». Ainsi, évitera-t-il la marchandisation qui attribue à toute expression humaine une valeur économique. Cette marchandisation est à la base des dévastations socio-économiques.

En outre, cette éthique, dans son impératif moral, fait saisir l’homme travailleur comme microcosme dans un macrocosme qui est la nature. Voilà pourquoi cette dernière est à sauver contre le « Terminator » Marché. La nature est saccagée par la course productiviste. D’où la déforestation croissante de l’état environnemental de notre planète, le changement climatique dont les catastrophes naturelles (Tsunami, en Inde, Catherina aux USA, etc.), la pollution des mers et de la Terre, tout cela crée la « crise écologique mondiale ». L’homme scie la branche de l’arbre sur laquelle il est assis. Menacer la nature, c’est menacer l’homme qu’elle porte. L’homme pourra mourir, mais la nature continuera à être. De la santé écologique dépend celle de l’homme. Voilà pourquoi notre éthique, dans sa lutte contre l’omnimarchandisation, lie la lutte pour l’homme à la lutte pour la nature.  Le monde n’est pas une «  marchandise », car il est notre planète-mère. Celle-ci nous porte comme la mère porte son fœtus. D’où la vie en symbiose. Ne pas le reconnaître serait un suicide collectif.

Voilà pourquoi, contre ce fléau, Riccardo Petrella réclame une « narration alternative » où la sécurité de vie pour tous est la vraie richesse du monde. Ici nous pensons à la sécurité contre les catastrophes « naturelles » créées par l’homme.

Cette éthique, comme celle de Kant, fait appel à la Raison humaine et à la bonne volonté et surtout elle tient au couple homme-nature comme mesure de toute action. Il y va de la vie de toute l’humanité présente et future. La mise en pratique de ces alternatives économiques et politiques, bâtira un autre monde possible.

 

Conclusion

 

De ce qui précède, nous savons que nous ne cherchons pas dans le travail un moyen de gagner de l’argent. A dire vrai, c’est la réalisation de soi qui est recherchée. Celle-ci engendre la jouissance entière de la Vie. Cependant cette dernière n'est pas seulement en dehors du travail comme le prétend la mentalité postmoderne. Elle est aussi dans le travail. Nous cherchons dans le travail un vrai plaisir, une satisfaction, une reconnaissance sociale. Voilà qui nous pousse à dire que  nous cherchons dans le travail une justification du sens à donner à notre vie. Nous avons besoin de nous sentir utile pour les autres et de nous sentir justifié à nos propres yeux.

Une fois le vrai sens du travail bien compris, nous dirons que  nous ne travaillons pas pour avoir, mais surtout pour être et nous sentir être davantage. C’est la raison pour laquelle le travail peut nous procurer de la joie. Il ne s’agit donc pas seulement de chercher à gagner sa vie tout en la perdant et on la perd  toutes les fois que le travail  est une catégorie économique.  La seule nécessitée devant pousser l’homme à travailler, est celle de  s’accomplir en tant qu’être humain. Le travail, comme toute autre activité, est une forme d’expansion de la conscience, une jouissance et conquête de soi. 

Cela étant,  l’éthique humano-écologique est celle qui convient à l’ère de la mondialisation, car elle met au centre l’homme et l’environnement  et se base sur des présupposés anthropologiques humanistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




[1] Docteur en philosophie, Abbé Louis Mpala est enseignant à l’Université de Lubumbashi et il est aussi Directeur du Centre Universitaire de Kasumbalesa, Extension de l’Université de Lubumbashi.

[2] BALIBAR, E., Frontières du monde, frontières de la politique, dans DELBACCIO, M. et PELLOILE, B. (dir), Du cosmopolitisme, Paris,  L’Harmattan 2000, p.182.

[3]  Cf. MARAIS, H., L’intégration régionale en Afrique australe, dans AMIN, S. (dir), Afrique. Exclusion programmée ou renaissance, Paris, Maisonneuve et  Larose, 2005, p.178-179.

 

[4]PETRELLA, R., Ecueils de la mondialisation. Urgence d’un nouveau contrat social, Montréal/Québec,  Editions  Fides/ Musée de la civilisation ,1997, p.7.

[5] BALIBAR, E., a.c., p.184.

 

[6]  Cf. VAN PARYS, J.-M., Petite introduction à l’éthique, Kinshasa, Loyola, 1991, p.13-21.

[7] Cf. FOULQUIE, P. et RAYMOND, S.-J., Dictionnaire de la langue philosophique, Paris, P.U.F.,   1962.

[8] Cf. MPALA Mbabula, L., La conception du travail chez Karl Marx, préface critique du professeur Tom Rockmore, Lubumbashi, Ed. Mpala, 2002.

[9] MARX, K., Manuscrits de 1844 (économie politique et philosophie). Présentation, traduction et notes de Emile Bottigelli, Paris, Editions Sociales, 1968, p.144.

[10] MARCUSE, H., Philosophie et révolution, Paris, Danoel,1969, p.60.

 

[11]  MARX, K., o.c.,p.63.

[12] Ib., p.63-64.

[13] Cf. MARX, K., Le Capital. Critique de l’économie politique. Livre I : Le procès de production : chapitre 5, Paris, Ed. Sociales, 1993.

[14] Nous  ne sommes  pas  sans  savoir  que  beaucoup  d’auteurs  ont écrit  sur  la mondialisation.  Cependant  notre essai de définition   a la  particularité de présenter la mondialisation  néolibérale en partant  des préalables  l’inscrivant dans  le champ  de la philosophie de l’histoire.  Sur ce  sujet Jacques Adda ( La mondialisation  de l’économie , Tome I : genèse, 4e  édition, Paris,  La Découverte, 2001), Serge Latouche (Les dangers  du marché planétaire, Paris, Presses de la  Fondation  nationale des Sciences politiques, 1998 et La planète uniforme, Paris, Sisyphe/climats, 2000), François Houtart (La mondialisation, Paris/.Bruxelles, Editions Fidélité (que  penser de … ?), 2003) et Beatriz Stalowicz (La gauche latino-américaine :  entre  épreuve  du  pouvoir  et volonté de  changement, dans Alternatives sud n°2 Volume 12 (2005), p. 47-71), ne peuvent  qu’approcher positivement  notre  approche de la mondialisation.

[15] DE MONTBRIAL T., Perspectives à la fin  du millénaire, dans  DE MONTRBRIAL T. et Jacquet, P. (dir), Rames, Paris,   Dunod,  2001, p.13. [15] MARCUSE, H., Philosophie et révolution, Paris, Danoel,1969, p.60.

 

 

[16]MOUSTAPHA Kassé, Consultation  sur  la dimension  sociale de la mondialisation,  BIT/CODESRIA (27  août 2002, Hôtel Savana Dakar) [en ligne]  http : // www. ilo.org/public/english/wcdg/docs/kassé. pdf (page  consultée le 29/06/2005).

[17] Ib .C’est à  ce niveau que d’aucuns parlent de la Globalisation réelle  qui n’est rien d’autre qu’une « interconnexion des marchés des facteurs  et des produits à travers les échanges et l’investissement direct étranger [IDE]»  (CROZET, Y. et alii, Les grandes questions de l’économie internationale, Paris, 2003, p. 138).

[18]  Ib.  Nous  soulignons.  Cette interdépendance est  connue  sous le nom de Globalisation financière, signifiant « interconnexion des  divers   marchés des capitaux  à l’aide des  techniques  informatiques  autorisant le déplacement instantané des  capitaux » (CROZET, Y. et  alii, o.c. , p 138).

 

[19] CROZET Y.  et alii, o.c.,  p. 146.

[20]  Ib., p.147.

[21] MOUSTAPHA Kassé, a.c

[22]. BONOFACE,  P., Le monde  contemporain : grandes lignes de partage, Paris,     P.U.F., 2001, p.11.

[23]  Nous reviendrons  sur ces transformations  quand  nous  aborderons  les critiques  que l’Altermondialisme adresse à la mondialisation néolibérale

[24] Nous  appelons Acteur, celui qui est doté de la  capacité  d’élaborer, d’exprimer et de traduire en  acte des  intentions.

[25] DOLL FUS, O., La mondialisation, Paris, Presses de la Fondation nationale des   Sciences Politiques ,  p. 108.  Nous soulignons.

[26] MBAYA Kankwende, Mondialisation, défis économiques et régionalisation  en Afrique, dans  CENTRE  TRICONTINENTAL, Et  si l‘Afrique refusait le marché ?, Louvain-la-Neuve, 2001, p. 50. Nous soulignons.

 

[27]Notre thèse de doctorat en philosophie (Matérialisme historique, Altermondialisme et utopies postmodernistes. Contribution à la philosophie de l’histoire, Unilu, juillet 2006) en parle amplement.

[28] CARFANTAN, S.,  a.c.

[29]  Ib.

[30]  Le concept de pont est propre à la Postmodernité. Il montre la mobilité, le nomadisme et le néotribalisme. Le pont permet à l’individu de poser d’un lieu à un autre, d’un groupe à un autre, d’une activité à une autre, etc.

[31] La Postmodernité est pour le temps polychronique, temps mythique et non pour le temps linéaire, monochronique .

C’est à ce niveau que le propos portant sur la crise du sens de l’histoire dans la postmodernité s’avère pertinent ( BESSE, J.-M. et BOISSIERE, A.,  Précis de philosophie, Paris, Nathan, 1996).

[32]  S. CARFANTAN, a.c.

[33] DE WOOT, P. et DELCOURT, J., Finalité du développement. Valeurs chrétiennes, dans DELCOURT, J. et DE WOOT, P. (dir), Les défis de la mondialisation. Babel ou Pentecôte, Louvain, 2001, p.627.

 

[34] PASSET, R., Nous sommes tous « mondialisés », [en ligne]http://www.attac.org/fra/asso/doc/doc1001.htm (page consultée le 17/O6/2005).